"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

18/10/2007

Comment peut-on être Français de souche ?

En entendant Jacques Toubon, président du comité d’orientation de la cité nationale de l’histoire de l’immigration, ce vendredi 12 octobre au matin sur France Inter, j’ai pour la première fois de ma vie douté d’être français. Zut alors ! Serait-ce qu’à l’approche de la quarantaine je dusse enfin me poser des questions métaphysiques sur mon identité? Après des années de douce léthargie, les vacances identitaires étaient donc finies! Car s’il m’était souvent arrivé, comme sans doute la plupart de ceux qui sont nés en France, aux environs de cette année bénie entre toutes par les dieux de la post-modernité qu’est 1968, de me demander ce qu’était être français, je n’avais cependant jamais douté de l’être. Maintenant que je sais, grâce à Jacques Toubon, ce que c’est qu’être français, je dois le constater, je ne suis plus sûr du tout de l’être.

Ce matin, l’ancien ministre n’y va pas avec le dos de la cuillère, au moment même ou armé moi-même de ma cuillère je couvre généreusement ma tartine de confiture Good Mummy à la framboise. L’ancien lieutenant de Jacques Chirac sort des oubliettes municipales et européennes et tire profit de son tempérament de feu (qui se manifeste souvent malgré lui lorsqu’il pique en plein Conseil de Paris un fard intempestif) pour nous vendre l’intérêt des activités de la Cité de l’immigration qu’il dirige. C’est ainsi que lorsque l’ancien ministre de la Culture, emporté par son lyrisme dévastateur, annonce à qui veut l’entendre que la France est « les Etats-Unis d’Europe », et que l’identité française a été fondée par l’apport de la culture des immigrés qui sont venu vivre ici, je fais choir, sous le coup de l’émotion, l’objet de ma convoitise et manque au passage de tacher mon beau costume qui sort tout droit du pressing. En vertu de la loi de l’emmerdement maximum, c’est évidemment du coté pile que la tartine choisit de s’étaler complaisamment sur le parquet fraîchement ciré. Mais dans l’instant, je suis quand même moins surpris qu’euphorique. Car je l’apprends enfin ! Voilà ce qu’est la fameuse identité française ! Il s’agit donc d’une sorte de Melting-pot européo-mondial. Les immigrés en route pour Paris n’avaient pas seulement les bras chargés de valises en carton. C’est aussi le cœur et l’esprit pleins de belles et bonnes valeurs destinées à faire éclore une identité française qui n’existerait pas sans eux qu’ils prenaient le chemin de l’hexagone ! Quasiment en mission humanitaire et civilisatrice, quoi ! Venus ici moins pour échapper à un destin de misère que pour apporter leurs lumières à cette vieille terre d’obscurantisme chrétien qu’était encore naguère la France ! En voilà une belle et bonne nouvelle ! La France moisie, souffrante et gémissante sous le poids de ses fautes passées, attendait donc, pour se refaire une virginité morale, cette nouvelle définition de son identité.

Et voici un corollaire de cette redéfinition qui est livrée dans la foulée par l’enthousiaste ministre : « les Français d’aujourd’hui sont les immigrés d’hier ». Je manque de faire prendre le même chemin que la précédente à la tartine que je suis alors en train de beurrer. Car c’est là que pour ma part les choses commencent à se gâter. J’ai en effet la chance (ou la malchance plutôt) de compter quelques passionnés de généalogie parmi mes aïeuls. Après avoir laissé tomber définitivement café et tartines pour me jeter fébrilement sur l’arbre généalogique que les vieux Piffard ont mis à la disposition des plus jeunes, je dois constater que la famille Piffard ne compte aucun étranger parmi ses ancêtres. Oui, vous lisez bien : aucun étranger. Pas un ! Même pas un espagnol réfugié de la guerre d’Espagne, ou un belge égaré au-delà de la frontière au moment des moissons et qui aurait séduit une fille de ferme qui aurait été ma grand-mère ! Non, rien de tout cela ! Les Piffard, 100% franco-franchouillards ! On trouve des Bretons, des Franciliens, des Bourguignons. Le comble de l’exotisme est constitué par un arrière arrière-grand-père auvergnat monté à Paris au tournant du siècle pour ouvrir un bistrot ! La honte, quoi ! Même en remontant au-delà du 20ème siècle, l’horrible constat s’impose à nouveau: les Piffard sont 100% souchiens. Consternant. Heureusement que ça fait longtemps que je n’ai plus le droit de fréquenter les soirées branchées car j’imagine déjà les plans dragues s’en allant en eau de boudin :
- Salut, t’es rudement jolie ! Tu viens d’où t’es kabyle ou berbère ?
- Ben, c’est un peu compliqué, je suis d’un peu partout et d’un peu nulle part, tu vois. Au fond je crois que ma vraie patrie, c’est l’univers.
- Ah ouais, d’accord…
- Et toi ? Avec un blaze pareil, t’es au moins Ashkénaze ascendant Tutsi, non ?
- Euh…non, plutôt 7-5, ascendant 9-1 en fait.
- ….

Pas très glorieux... J’en ai presque des sueurs froides. C’est que la perspective de mes humiliations à venir favorise la mise en branle de ma paranoïa naturelle. Si la France c’est les Etats-Unis d’Europe, comme dit le cher Jacques, est-ce que je vais finir dans une réserve ? En outre, il me vient à l’esprit que ces arbres généalogiques, si cette nouvelle définition de la francité s’impose, nous aurons bientôt intérêt à les cacher. Car s’ils tombent entre les mains des préposés à la défense de l’identité nationale, ma progéniture risque dans quelque temps d’être accusée de déficit d’apport à l’identité française. Mes ancêtres : une bande de français de souche qui n’a jamais pris la peine d’apporter quoique ce soit à la nation. Des fainéants incultes, quoi ! Même pas métissés, encore moins multiculturels ! Pourvu que personne n’ait l’idée dans un avenir plus ou moins proche d’instaurer un test ADN pour garantir l’origine étrangère de chaque Français ! Sinon les gamins auront droit au charter. Pour quelle destination ? Mystère !

Florentin Piffard

PS : en proposant ce texte à la lecture aux esprits rares et délicats qui fréquentent ce forum, je suis certain que personne ne saura se fonder sur lui pour supputer quelque pensée xénophobe ou a fortiori raciste chez son auteur. En vertu du sacro-saint principe de précaution, je précise néanmoins que ce qui précède ne saurait constituer une charge contre les Français d’origine étrangère qui subissent comme moi (et plus que moi) la démagogie de l’apologie au marteau-piqueur de la diversité et du métissage. Les lecteurs les plus subtils sauront au contraire déceler la pointe d’envie bon enfant qui affleure dans mon propos à l’endroit des origines étrangères ou métissées de nombre de mes compatriotes.