"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

29/07/2009

Ma music dans ta face


Je sais, le constat n’est pas original, mais il est impossible d’y échapper. Partout, tout le temps. Dans les transports, les lieux publics, la rue, les restaurants, les appartements, on pousse la musique à fond. On pousse sa music à fond. C’est le principal bilan que je tire de ces vacances. Sa conclusion irréfragable. Dans les rues d’Athènes ou sur les plages des Cyclades, la catastrophe humaine et écologique est partout la même. --------


On juche ici des machines énormes sur des poubelles et on pump up the volume, jusqu’à la limite, au-delà de toute limite. Ailleurs, toutes fenêtres ouvertes, les quatre enceintes d’une autre poubelle, sur roues celle-là, hurlent à qui veut et ne veut pas l’entendre que le propriétaire de cette caisse pourrie est un mec pauvre mais viril qui n’a pas peur d’imposer les bruits que ses engins produisent à l’humanité entière. Fierté et respect sont dus aux innombrables pourvoyeurs de cacophonie. Courbez-vous humbles mortels et regardez vos pieds, à moins de prendre dans votre face pourrie d’esclaves, ma music de cow-boy. Ici, il faut que tu le saches touriste muet, c’est chacun sa life, chacun son style, mais c’est tous pour le bruit. C’est la battle du barouf, entre ouat et ouam mon pote, et que le plus sourd gagne. La Grèce, hurle it or leave it.

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Shark star, le nom d’une paillotte sur la plage, cadre idyllique de carte postale. Les tamaris, les chaises longues, la vue sur la baie, lieu idéal, pense le naïf béotien qui s’approche, pour se reposer, lire, parler. Mais de loin déjà il entend Led Zeppelin poussé à fond la caisse. Rock and Roll. Toute discussion, tout repos, toute concentration sont impossibles. L’incongruité de la présence des guitares saturées et de la voie suraigüe de Robert Plant dans ce lieu perdu des Cyclades ne frappe personne d’autre que lui. Il faut qu’il se rende à la raison : au nom de quoi priverait-on les Grecs du droit d’accès au vacarme zepellinien ? Contrairement aux dieux de l’Olympe, les dieux du rock sont chez eux partout où on les invite, c'est-à-dire partout. Nulle obsolète séparation du sacré et du profane ici. En tout lieu, cette misérable musique sacrée, cette musak des égos, dégouline « comme une eau tiédasse fuyant d’un robinet mal fermé ».

Un car qui serpente vers la ville vers les deux heures du matin, et les chants avinés d’adolescents grecs. Nul scrupule, nul enfant qui dort, nulle personne âgée entassée debout dans le couloir du car pendant qu’eux-mêmes se vautrent sur les sièges arrières n’empêchent ces apprentis choreutes d’hurler en meute, tout en martelant avec leurs pieds le sol du car. Ils sont l’animation et la gaité incarnées, pendant que nous autres les silencieux, figurons, dans cette saynète qu’ils se rejoueront avec satisfaction le lendemain, les tristus qui refusent de participer, les rabat-joie et les pisse-froid indispensables à toute fête réussie : le bonheur de vivre de ceux qui sont si jeunes et si beaux ne saurait être complet s’il ne se nourrit pas de la gueule de six pieds de long du commun des mortels.

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Et la France, alors, c’est mieux peut-être?

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J'ai vu cette année le jour maudit de la fête de la musique, dans une ville de province que l’on qualifie encore aujourd’hui de bourgeoise, venues des quatre coins de la région, des hordes d’adolescents piercés et casquettés converger vers d’énormes enceintes posées en plein milieu des plus belles places de la ville, abandonnées pour l’occasion par toute forme de civilité et même d’humanité. Il y avait là des grappes énormes de jeunes déguisés en méchants, dont certains affublés de tee-shirt déchirés et de chaines clinquantes, qui d’une main brandissaient vers un ciel absent leurs bières, et de l’autre, pour une raison inconnue, insultaient les DJ cachés derrière les enceintes à coup de doigts d’honneur. Une vision de pur cauchemar. Ces foules juvéniles s’amassaient fiévreusement devant ces énormes volumes noirs qui produisaient à flots ininterrompus un vacarme d’une répétitivité démoniaque. La plupart, à force de hochements de tête, de visages extatiques et de bras levés, paraissaient même rendre un culte fervent aux machines responsables de ce bruit de tous les diables, comme le faisait autrefois le public des concerts de rock et de variété aux interprètes qu’ils adulaient. Ces liturgies se répétaient tous les vingt mètres environ, produisant ainsi une cacophonie elle-même infernale, à la satisfaction apparente des familles débonnaires qui circulaient placidement de groupe en groupe en ingurgitant coca et barbapapa.

Un culte rendu aux machines considérées comme des prolongements avantageux de soi-même, voilà peut-être une définition possible de notre hypermodernité.


Le walkman, cette musique que chacun trimbale avec soi comme un petit trésor, visait parait-il à éviter d’imposer ses choix musicaux à autrui en public. La jeunesse d’abord, le reste de l’humanité ensuite se sont vite rendus compte à quel point cela est frustrant. A quoi ça sert d’avoir des goûts si cools et si originaux si personne ne le sait ? Alors on pousse les machines à fond, pour que chacun en profite tout en prétendant qu’on ne le fait que pour soi. Et celui qui râle n’est qu’un vieux con intolérant qui ne sait pas s’amuser.


Il y a quelque chose de profondément métaphorique (et d'assez comique) dans ces cohues d’individus qui ne se contentant plus d’écouter chacun pour soi sa musique éprouvent le besoin d’exhiber leurs préférences musicales. Chacun tente d’échapper à cet individualisme forcené qu’il revendique par ailleurs naturellement, en cherchant à convaincre autrui de la pertinence de ses préférences et de ses goûts musicaux qui pourtant, par un axiome bien connu, ne se discutent pas. Comment pourrait-on d’ailleurs discuter de quoi que ce soit, dans ce vacarme incessant ? La musique produite partout par toutes sortes de machines devient une extension tyrannique du moi. On mène à coup de décibels les luttes pour la reconnaissance que l’on règlera plus tard à coup d’armes réelles. Que l’on pense à l’origine de la musique, cet art collectif qui demandait discipline et coordination, effort et patience, concentration et silence de la part de l’auditoire, et qu’on la compare avec ce qu’elle est devenue aujourd’hui, un bruit permanent, une façon de s’imposer à autrui plutôt que de laisser entrer autrui en soi, une cacophonie de tous les instants, le contraire de la musique. L’art de la conversation est un art délicat qui est sans doute apparenté à celui de la musique. Il faut savoir parler et relancer, faire silence et comprendre quand son tour vient, avec quelle intensité intervenir. Il faut être attentif et discret, tout en sachant sa partition. Que la musique et la conversation disparaissent de concert au profit de la cacophonie et du moi-je-isme (qui est à l’égoïsme ce que le hard-rock est au rock, une surenchère dégradante) ne doit sans doute rien au hasard.

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A la fin de ces vacances, un miracle. Un appartement, le soir. Quelqu’un se lève dans le calme, et introduit doucement un CD. Un concerto pour violoncelle et piano. Le son du violoncelle s’élève doucement, porté par le piano tout entier à son service. Dans la pièce, le silence se fait progressivement. Le bruit des enfants lui-même paraît lointain. Je m’assois en silence, intimidé. Un ami fait de même. Les mots durs que nous avons échangés plus tôt sont un instant oubliés dans la plénitude de ce long silence musical.


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01/07/2009

Confessions sous une burqa

AVERTISSEMENT

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L’auteure de ces « confessions » et ces « confessions » elles-mêmes sont certes imaginaires. Pourtant, non seulement des femmes comme l’auteure de ces confessions peuvent exister, mais elles le doivent dans notre société au vu des circonstances dans lesquelles celle-ci s’est édifiée. J’ai voulu présenter au public, avec un peu plus de force que de coutume, un de ces caractères qui appartiennent à notre présent. Cette femme est la représentante d’une génération en survie. Le personnage se présente, lui-même et sa façon de penser, et semble chercher à retrouver les causes qui l’on produit, et devaient le produire dans notre monde.

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FP (avec l’aide de FD)

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Ces notes, j’ai décidé que personne ne les lirait. Jamais. C’est à moi qu’elles appartiennent. Même mon cher mari n’y posera jamais son regard. Si c’était possible, je voudrais que l'entrée de mon coeur soit scellée pour toujours et pour le Trés-Haut Lui-Même, béni soit-Il.

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Quant à tous ceux qui s’excitent aujourd’hui sur mon sort à la télé, qui s’apitoient ou me couvrent d’injures, et parfois même les deux à la fois, je jubile de les imaginer en train de s’éveiller brusquement en pleine nuit, après un horrible cauchemar pendant lequel ils auront tenté de lire en vain sur mon invisible visage les raisons pour lesquelles j’ai choisi de porter ma chère Burqa plutôt que d’exposer mon visage à la vue de n’importe qui. Je dis ils, mais ce sont elles surtout. Toutes celles qui prétendent me donner des leçons de savoir-vivre. Qui prétendent savoir mieux que moi ce qui est bien pour moi. Oh, je les connais. J’ai été l’une d’entre elles. Moi aussi j’ai montré mon corps, moi aussi j’ai voulu être la plus belle pour aller danser. Je me souviens du rouge à lèvres et des push-up que l’on essayait en cachette, les copines et moi, après le collège, chez Malvina, quand on séchait l’initiation au latin, en 5ème. La mère de Malvina, elle avait tout ce qu’il fallait, des strings et des tangas, et même des porte-jarretelles, ce que ça nous faisait rigoler d’essayer ça. On imaginait l’affolement des mecs, on se trouvait vachement sexy, des filles fatales qu’on était, chacune d’entre nous. Qu’est-ce qu’on riait, qu’est-ce qu’on était bien toutes ensemble! Rosa, rosa, rosam, c’était nous et personne d’autre, c’était ici et nulle part ailleurs.

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Bien sûr après, c’est vite devenu moins drôle. Les mecs, c’est des salauds, les filles, des salopes. Voilà le fond de ma pensée. Malvina surtout. Putain, y’en avait que pour elle. J’avais beau faire tous les efforts, y’avait toujours un bourrelet qui dépassait ici, un bouton qui poussait là ! Les mecs y me calculaient même pas, sauf pour rigoler de mes tares, ces tarés. J’avais grandi et forci tout d’un coup et je savais pas quoi faire de mes bras et de mes jambes immenses, de cette bidoche qui gonflait autour du piercing au nombril. Les jeans taille basse, et les strings apparents, ça changeait rien au problème. Au contraire. Un jour, en allant au bahut, je les ai entendus derrière moi, ces deux connards. Kevin et Moussa. Y se foutaient de ma gueule ouvertement, ces racailles. Eh, machine, arrête de faire semblant dèt belle ! Eh, ca déborde de partout, la grosse, faut nous tasser tout ça ! Eh, c ou que je dois mett’ les mains, j’reconnais rien dans ce bordel, faut ranger tes affaires la radasse. Je leur aurais arraché les yeux. Ces petits cons impubères. Les mêmes qui copiaient abondamment sur moi pendant les dictées, des analphabètes. Je les laissais faire, j’espérais seulement qu’ils allaient s’intéresser un peu à moi. Je pouvais bien me brosser longtemps, idiote que j’étais. Y s’en foutaient bien de ma gueule de grosse vache ! Y’me traitaient de victime et d’intellectuelle. Pourtant j’étais pas la plus moche, loin de là ! Mais ça me fatiguait de faire la belle ! De passer des heures à lutter pour en foutre plein la vue des mecs et des autres pétasses. Toujours se battre! Moi ce que j’aimais au fond, c’est passer du temps dans les livres, réfléchir bien tranquille chez moi ! J’ai lu tout les misérables ! La beauté, c’est intérieur ! Voilà ce que je sais.

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J’ai pas que des mauvais souvenirs à l’école, faut pas croire. Stéphanie, ma maitresse de l’école Paul Eluard, en CM2, je suis sûre qu’elle se souvient de moi ! Un jour elle avait lu ma rédaction sur la liberté, c’est moi qui avais choisi le sujet, devant tout le monde, elle m’a lu ! « La liberté intérieure c’est le bien le plus précieux sur cette terre, celui que tous les tyrans du monde ne pourront jamais nous enlever », voilà comment ça finissait. J’en rosissais de plaisir, en entendant la voix de la maitresse qui prononçait mes mots. J’y croyais à peine. Je sentais la chaleur sur mes joues, j’aurais tout donné pour qu’on la voie pas. Mon seul et unique triomphe dans cette société pourrie.

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Ces connasses qui donnent des interviews pour justifier leur choix de porter la burqa, je les méprise. Elles se vendent comme les autres. Moi, je ne mange pas de ce pain là. J’ai pas choisi de vivre cachée pour m’exposer à la télé dés qu’on m’en donne l’occasion ! C’est juste des putes comme les autres ! Et toutes ces « féministes » qui leurs tendent le micro, et qui se croient libérées, elles me font rire. A qui elles vont faire croire ça ! Regardez-les dépérir, tenter de garder à toutes forces l’illusoire beauté de leurs vingt ans ! Elles luttent, elles luttent pour pas sombrer. Mais derrière ma grille, je vois bien leur regard de haine quand elles fixent le cul bien ferme des petites jeunes qui attire le regard des mecs. C’est des grosses jalouses, et comme elles peuvent pas s’en prendre aux jeunes qui se foutent à poil, elles s’en prennent à nous. Elles voudraient bien faire la même chose que nous, renoncer au monde avant que le monde ne renonce à elles, j’ai lu ça un jour je sais plus où. Mais c’est juste qu’elles osent pas. Faut être courageuse pour ça. Sans l’aide d'Allah, le Béni et le Très-Haut, elles iront nulle part. La vertu c’est ce qu’il y a de plus précieux. Moi les mecs, je les emmerde. Leur regard se portera pas sur mon cul. D’abord, qu’est-ce qu’ils croient tous ces cons ? Que dans les bijouteries c’est les plus belles pièces qu’on étale dans les vitrines pour susciter la concupiscence des chalands ? Ben non ! Les bijoux les plus précieux, ils sont bien cachés au fond des coffres, on les expose que pour une clientèle choisie, les VIP, et pas pour tous les pécores qui passent dans la rue. Eh bien, nous derrière notre Burqa, c’est pareil ! C’est nous les plus belles au fond, mon cher mari c’est ce qu’il me répète, et si j’ai envie de le croire ça ne regarde que moi ! Quand il me déshabille, c’est comme un rituel entre nous ! Allah, béni soit son Nom, me pardonne ! Mon cher époux, il me demande ce que j’en pense de tous ces regards indécents sur moi dans la rue, si je me sens pas salie ! Je sens que ça l’excite un peu quand même toute cette attention qu’on me porte ! Lui-même il me regarde avec tant d’intensité et tant d’amour, j’en reviens pas. Son désir brûlant sur mon corps enfin dénudé, ça me venge de tous les Kevin et de tous les Moussa du monde ! Que c’est bon !

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Ceux qui m’accusent de faire la voyeuse derrière ma burqa, ils me font rire eux-aussi. Ils me reprochent de regarder et de ne pas être vue, d’être une profiteuse. Et c’est les mêmes qui passent des heures derrière leur télé, bien tranquilles, pour injurier le monde sans risque. Pendant que moi dans la rue, j’attire tous les regards, je me fais insulter! Alors, ils peuvent toujours y aller avec leur lâcheté. Tous ces islamophobes ! C’est pas moi qui prends des pseudos sur Internet pour me lâcher sur le catholicisme! Ils passent leur temps à regarder la vie passer de loin derrière les écrans, et ils me reprochent de me couper du monde ! C’est l’hôpital catho-laïcard qui se fout de la charité islamique !

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Je les entends hurler, et je ris, je ris, je ris enfin de me voir si belle en ce miroir ! Je suis la fleur la plus précieuse et la plus pure, celle que l’on dérobe aux regards des infidèles. Seule et nue sous mon voile, je jouis d’être la plus désirable!

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