"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

12/06/2010

Toute toute première fois, toute toute première fois, toute toute première fois

LeJDD.fr - ‎11 juin 2010‎ : « Pour la première fois, le pape a demandé pardon vendredi à Dieu et aux victimes d'abus sexuels commis par des prêtres. »
L’Express – 21 mars 2010 : « Si elles constituent une première dans la communication du Saint-Siège, les excuses du pape Benoît XVI pour les abus sexuels commis par le clergé irlandais semblent insuffisantes aux yeux de nombreuses victimes ».
L’Alsace.fr – 11 décembre 2009 : « Le pape a présenté des excuses une fois de plus  vendredi pour les abus sexuels commis sur des enfants par des membres du clergé. »
Le Point – 19 juillet 2008 « Le pape a pour la première fois présenté ses excuses publiques samedi à Sydney pour les abus sexuels commis par des prêtres. »
 
Il me semble qu’un jour il faudra bien que le pape accepte enfin de présenter des excuses pour les crimes pédophiles commis par les membres de son clergé.

07/06/2010

Xavier Grall nationalisé




Dans le numéro 24 du mensuel Causeur, je nationalise d'autorité et naturalise français sans consultation préalable aucune des comités citoyens et participatifs bretonnant  le grand poète breton Xavier Grall. René Rougerie, juste avant de disparaitre au mois de mars dernier, a publié un magnifique recueil de ses oeuvres poétiques. Voici un extrait de son poème Solo, ecrit peu de temps avant sa mort.  


Seigneur Dieu
Pourquoi vous cachez-vous
Aux yeux de ceux qui vous aimaient
Adieu les pieux errants
Lierres et pierres
Temps frivoles et sans pitié
Temps meurtriers
Ronciers
Temps de mécréance
Temps de médisance
Dévorez-moi
Dévorez-moi
Car je ne saurai vivre
Sans croire que les chemins
Vont quelque part
En quelque ville



Seigneur Dieu c’est moi
J’ai fait un grand voyage
Permettez que je retourne
En Bretagne
Pour vivre encore quelques années
Je n’ai pas grand âge
Vous le savez
Quelques printemps encore
Donnez-les moi
Afin que je vous loue
Par l’aubépine et le laurier
Accordez-moi quelques étés
Afin que je vous chérisse
Par la tendresse reposée
Du myosotis et de la rose
Seigneur Dieu

Au royaume de la terre
Laissez-moi retourner
Au temps d’hiver
Je serai trouvère
Trouvant prière
En mon âme recouvrée

Seigneur Dieu

Redonnez-moi ma maisonnée
Et ma femme française
Qui tant patiemment
Ma santé mauvaise
Soigna à Botzulan
Rendez-moi paroisse et commune
Mes trois bouleaux
Mes deux cyprès
Et mon talus buissonnant
Et le chêne tout frivolant
Avec les tourterelles
Tourterellant
Rendez-moi les hirondelles
Nichant
Nizonnant
Botzulanisant en la mémoire
Des cheminées

Seigneur Dieu
Ce que pour Lazare
En belle Galilée
Vous avez fait
Ne le ferez-vous pas
Pour ma chair tant abîmée ?



Seigneur

C’est votre grâce
Que je supplie
Et non votre puissance
Opérez ma renaissance
Il suffira d’un peu de souffle
Dans ma poitrine
D’un peu de salive
Sur ma bouche chagrine
Seigneur maître de la vie
Voici donc ma bretonne supplique
Prenez mes plaies et mes peines
Alllégez ce fardeau que je traîne
Dans les blanches cliniques
Aux adieux des condamnés
Comment me résignerais-je
Comment dire adieu aux fontaines
Aux sources aux rivières
A l’Elorn à l’Isole à l’Aven ?
Qu’il me souvienne

Des bourgades humaines
Du rire de l’aurore
A l’œil des fenêtres
Comment quitter
Tous ceux que j’aime
Frères de Bretagne
Amis de Seine
Pourquoi faudrait-il
Que m’adviennent
Douleurs et précoce trépas



Seigneur Dieu

A pauvre et bonne pauvreté
Votre riche palais ne convient pas
Redonnez-moi ma jaune masure
Et l’amour de la vie
Et l’amour des hommes
Car telle est la mesure
De notre seul honneur !



Seigneur

D’amour vous avez blessé Verlaine
Et devant votre corps fabuleux
Rue Ravignan
La chair de Max Jacob
Est tombée par terre

Seigneur
Par l’annonciation des poètes
Je crois aux jours heureux
De votre Parousie
Vous viendrez dans les vergers
Par la voie lactée
Et les sentiers d’ancolie
Nos maisons de pierres
Seront vos reposoirs
Nous mettrons le pain le vin
Sur la table
Les colombes s’envoleront
Des retables
O les ajoncs sensibles
Dans la clarté du soir

Amour aimant l’amour
Feu brûlant le feu
Incandescence
Phosphorescence
Brasier brassant brassée de flammes
Aurore aurorant de coqs et de rosée
Ames embrasées
Tendresses embrassées
Phares effarés de brûlures

Enluminures

(...)

O glèbe sauvée



Seigneur Dieu

Pour votre Parousie
Me laisserez-vous revenir
En ma paroisse nizonnaise ?
Du mal qui me peut advenir
Epargnez-moi
Bonne est la vie
Parmi les êtres humains
Mon cœur est sans froidure
Et peu me dure le temps
Quand je suis fraternel



(...)

Et si je ne parviens pas
En ma patrie humaine
Si me tourmente le vent
Ou si me crève la pluie
Si les crapauds méchants
Mangent ces bronches pourries
Si ma dernière route
Doit être si meurtrière
Que je me couche transi
En funèbres fougères
Faites que je sache aimer encore
L’herbe des prairies
La clameur du bief
Et la voix de l’écluse
Emplissez d’azur
Mes paupières repliées
Et que sonnent les musiques
Dans la dernière brise respirée
N’abîmez pas ma chrétienne créance
D’ignoble effroi et longue dolence
Vous le savez
De mes péchés et mauvaisetés
Cent fois j’ai fait repentance
Accordez-moi l’infinie souvenance
De la splendeur de la terre
Et puis emportez-moi
A l’exacte place
Qu’en votre pitié vous réservez
Aux hommes de ma chanteuse race



Seigneur Dieu

A mes frères et amis
Aux femmes que j’ai aimées
A tous ceux que mon cœur à croisés
Avant que d’entrer dans les ténèbres
Transmettez je vous prie
Mon espérance testamentaire
Nul chant nul solo
Nulle symphonie nul concerto
Qui porte nostalgie d’amour
Et soif et faim de tendresse
Ne sera perdu dans la détresse de la mer
Voilà et puis encore ceci
Par la dernière larme
Par l’ultime halètement
Par le dernier frémissement
Par le moineau qui s’envole
Par le geai sur la branche
Par la dernière chanson
Par la joie dans la grange
Par le vent qui se lève
Par le matin qui vient
Tout simplement
Je vous rends grâce
D’avoir été dans le bondissement
Incroyable
De votre création
Un pauvre hère mortel divin
Et misérable
Oui
Tout simplement
Un être humain
Parmi les milliards
Et les milliards de vos créatures
A présent que les feuilles
Et les mains
De douce nature
Me closent les yeux !



Mais Seigneur Dieu

Comme la vie était jolie
En ma Bretagne bleue




04/06/2010

jevisailleurs.com


Souvenons-nous du Havre, cette ville-phare de la « première modernité » si bien décrite par Benoît Duteurtre dans son Voyage en France ou dans Les Pieds dans l’eau. Il y a un siècle ce port normand était depuis la France presqu’un passage obligé entre l’ancien monde européen et le nouveau monde américain. Pour les Européens en route vers l’Amérique, il y avait déjà du New York dans cette ville portuaire qui, au bord de l’Atlantique, semblait tourner le dos à son passé européen. Le long des quais que surplombaient de lourds nuages chargés de toutes les eaux d’un ciel occidental gonflé d’inquiétantes promesses, on ressentait un début d’arrachement de ses vieilles racines françaises. Pour les Américains accostant ici sur le continent de leurs ancêtres, Le Havre c’était la voie royale vers Paris, cette vieille ville de toutes les libertés. Un vaste monde océanique la séparait des étouffantes étroitesses morales et artistiques de leur petite province culturelle.

Le Havre était pour ses visiteurs, l’occasion d’une sortie de soi. Pour le voyageur en quête de dépaysement, avant même le terme de son voyage, les traditions semblaient peser d’un poids moins lourd. Ici, chacun était un peu moins lui-même qu’à la maison. Loin des effets analgésiques de l’habitude, on s’immergeait dans le spectacle sans cesse changeant de l’océan et on avait l’illusion de prendre des distances décisives avec son « moi » quotidien, ce moi tyrannique qui nous habite et nous échappe à la fois, et dont Proust décrivit alors pour notre infini plaisir l’inattendue recouvrance, à l’occasion, est-ce un hasard, du voyage de son personnage dans une station balnéaire de la côte normande. Lisons Proust un instant, et constatons à quel point, « en voyage », la véritable rencontre avec l’Altérité, qu’il ne faut pas hésiter, dans ces circonstances, à doter d’une majuscule (voir la présence de cette « présence inconnue, divine » dans le texte qui suit), était aussi l’occasion d’un bouleversement du moi ainsi rendu, par ce bouleversement même, pleinement à lui-même.

« Bouleversement de toute ma personne. Dès la première nuit, comme je souffrais d’une crise de fatigue cardiaque, tâchant de dompter ma souffrance, je me baissai avec lenteur et prudence pour me déchausser. Mais à peine eus-je touché le premier bouton de ma bottine, ma poitrine s’enfla, remplie d’une présence inconnue, divine, des sanglots me secouèrent, des larmes ruisselèrent de mes yeux. L’être qui venait à mon secours, qui me sauvait de la sécheresse de l’âme, c’était celui qui, plusieurs années auparavant, dans un moment de détresse et de solitude identiques, dans un moment où je n’avais plus rien de moi, était entré, et qui m’avait rendu à moi-même, car il était moi et plus que moi (le contenant qui est plus que le contenu et me l’apportait). »

Où en est Le Havre aujourd’hui ? Pour le savoir il faut peut-être prendre connaissance de la nouvelle et si désopilante « campagne de communication » que vient de lancer cette ville sur les médias classiques et, comme tout acteur « en phase avec notre époque » se doit impérativement de le faire, sur Internet. Une publicité sur le « réseau professionnel » Viadeo interpelle ainsi les internautes, redondance des liens comprise : « A vous d'inventer votre ailleurs, Un lieu unique et incomparable, au carrefour des mondes, là où se créent de nouvelles perspectives et de nouvelles opportunités. Rendez-vous sur jevisailleurs.com . »

Notre néo-Havre est donc un « lieu » qui s’appelle ailleurs, et que nous inventons, c’est-à-dire un beau gros nulle part. En radicalisant les tendances inhérentes à la modernité, notre hypermodernité les trahis et les ridiculise à la fois : qu’est-ce qu’un ailleurs que j’invente moi-même selon mon seul caprice, sinon une extension parfaitement superfétatoire de mon petit moi tyrannique ? Une façon de remplir de soi cet « ailleurs » dont je me réclame, et donc de nier l’Altérité dont ce lieu inconnu aurait pu être l’indice? Les possibilités de sortie de soi (et de retour à un soi plus authentique parce que transformé par la reconnaissance d’Autrui en soi-même) offerte par le vieil ailleurs, possibilités magnifiquement décrites par Proust, se trouve niées dans cet ailleurs dans lequel « je » vis et que la ville du Havre nous propose de créer ex-nihilo en « investissant » chez elle. C’est-à-dire en y déversant notre moi, sans qu’il subisse dans l’opération aucune transformation d’aucune sorte. Il restera donc parfaitement identique à lui-même et d’ailleurs parfaitement interchangeable avec le « moi » d’autrui, sous la forme financière qui intéressent les « développeurs » de cette ville.

Il paraît que Le Havre aujourd’hui est une ville qui tire son épingle du jeu de la mondialisation. Cette ville est incapable de répondre à toutes les demandes d’implantation qui affluent vers elle, notamment en provenance de Chine. «Etre ailleurs » est devenu dans notre monde sans racine un signe d’élection. Le sédentaire, celui qui se réclame humblement de ce qui le précède, qui reste bêtement enraciné dans un trou quelconque à fréquenter sa famille, à saluer ses voisins, qui n’a pas créé ex-nihilo le monde dans lequel il prétend vivre, qui ne fait pas son intéressant en quittant sa terre natale pour vivre dans un monde qu’il s’est créé sur mesure à coup de réseaux sociaux et virtuels ou de déménagements bien réels, est un ringard.

Mais la vérité est que cet ailleurs dans lequel se vautrent les ravis de la mondialisation est le comble du mensonge romantique au sens de René Girard: c’est une façon de remplir de soi ce que nous présentons comme autre, et en niant ainsi l’Altérité dont nous nous réclamons pourtant, d’échapper aux leçons « amères et fortifiantes » que nous tirons du commerce avec notre prochain. Jevisailleurs.com, il y a dans cette déclaration de pierrot lunaire une façon de rejeter radicalement autrui et de se réfugier dans une autonomie factice, une façon de déclarer une fois pour toute son indépendance à l’égard du reste de l’humanité en fuyant les vieux mondes et leurs conflits insupportables, une façon de vivre seul et content, dans une apesanteur mortifère.