Discours sauvages sur la modernité
"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy
05/09/2014
D'une mort qu'on voudrait charnelle
Toute solennité à part, ce 5 septembre 2014 est le jour idéal pour proclamer arbitrairement l'acte de décès de ce blog.
"Et ce ne sera pas ces distingués cloportes
Qui viendront nous chercher dans notre enterrement.
Ce n'est pas leur détresse et leur désœuvrement
Qui se promènera sur nos dépouilles mortes."
11/02/2013
Dans le train
Installé dans un « carré » de la deuxième classe d’un
TGV, je fais face à une jeune femme dont il est impossible de croiser le regard.
Lorsque son pied heurtera malencontreusement mon tibia, elle rectifiera sa
position sans lever le nez de son best-seller consacré (je me renseignerai plus
tard) à la révolution antispéciste menée par des fourmis et des humains plus
éclairés que les autres, qui s’affranchissant des préjugés millénaires qui les séparent
finissent par « coopérer pour un monde meilleur ». Faut-il attribuer
la réserve de ma camarade humaine à une délicate pudeur ? C’est peu
probable. Car la voilà maintenant absorbée par son smartphone qu’elle consulte
d’un front soucieux et d’un doigt nerveux. Avec force mimiques, elle donne libre
court aux émotions que provoquent chez elle les messages qu’elle reçoit ou « les
infos » qu’elle consulte sans craindre nos regards. Un curieux manteau de fourrure
à fermeture éclair, sans manche, faut-il appeler cela un débardeur ? lui
sert de carapace. Et je me demande si nous autres qui partageons son
compartiment, ne représentons pas à ses yeux absents moins encore que la petite
bête chaude, dont la peau écorchée la protège aujourd’hui du froid et de la
présence superflue de ses semblables.
Dans le carré d’à côté, il s’agit vraisemblablement d’un
groupe de collègues en voyage d’affaires, des cadres moyens, informaticiens ou experts-comptables, qui discutent
aimablement lecture : deux d’entre eux ont entre les mains les best-sellers dont ils
parlent. Le premier est le xième volume d'une saga héroïco-fantaisiste à la couverture criarde,
pleine de péripéties, d’univers, d’humanoïdes et d’elfes, écrite et lue en
anglais. L’autre est un polar, encore en anglais. Dans leur discussion, il apparaît qu’il y a
chez ces jeunes gens sympathiques la volonté de faire d’une pierre deux coups :
maintenir leur niveau de fluency et
se divertir à coup sûr. Cette attitude dénuée de tout snobisme, où se conjuguent
chez des êtres à qui je ressemble tant le souci de ne pas perdre de temps et de se divertir, me déprime aussi sûrement que si l’on m’annonçait que
François Taillandier, Pierre Jourde ou Anne Plantagenet n’avaient plus d’éditeur.
10/09/2012
Même le dimanche
Un décalage horaire pèse sur mon humeur,
Mais une promesse inscrite au firmament d'Auchan
Me dit qu'avant longtemps, sans chanter aucun chant,
Les hommes décalés jouiront d’un grand bonheur.
Chaque jour ils iront vite sous les lambris du monde,
Et pourfendront d’un cri chacune des bêtes immondes
qui altèrent la pureté du centre commercial
Ouvert même le dimanche, c’est quand même plus social.
Serait-ce donc cela à quoi passera l’heure,
Quand seront oubliées les œuvres du Seigneur?
Une lumière vive tombe sur nos achats de masse
Oriente notre temps et nous tient en sa châsse.
Voici les bons d'achat et les promotions,
Les journées portes ouvertes et les réductions,
Un banlieusard ravi a rempli son caddy,
Mais tout est accompli sans voir le paradis.
La paix du doux business ne s'est pas installée,
La haine renaissante au jour est dévoilée,
Et prend pour seul objet ce qu'elle ne voyait plus,
Bientôt fait apparaître ce qu'elle ne voulait plus,
Car la magie se rompt malgré tous ses rituels,
Et retombent sur nous toutes nos vieilles poubelles.
Si le silence avance parmi les bruits de casse,
A qui rendrai-je grâce, quand enfin de guerre lasse,
Cesseront les vacarmes de notre vanité
Et s’éteindront les charmes de nos plaisirs bancals,
Et qu’un jour inattendu, clair et amical
Soudain se lèvera sur mon humilité?
11/04/2012
Prière à mon corps
Qu'est-ce au fond qu'Internet, sinon la disparition des corps, la disparition de la présence concrète, lourde, terreuse, des choses et des gens? Cette disparition est le signe et l'achèvement d'un long processus qui pourrait décrire celui de la modernité. Il faut croire que la prière qui suit et que l'on doit à Marie Noël, discrète et géniale poétesse catholique, aura été vaine. Nous ne croyons plus à l'âme en général, mais nous croyons à notre âme en particulier, cette petite chose tyrannique qui s'impose à nous avec plus de poids que l'objet le plus lourd. C'est mon âme qui sait qui je suis, mieux que mon corps dont la présence réelle n'est qu'une incongruité embarrassante. Grâce à la technique, qu'elle soit chirurgicale ou numérique, mon âme modèle mon corps, elle en fait une pure apparence "qui me correspond". Ce qui est là, l'épaisse présence des choses, se mue en donné -en données- à remodeler, à effacer. Plus rien ne s'impose à nous, et surtout pas notre corps naturel, toujours trop lourd, trop imparfait pour nous, pour ce que nous appelons nous, cette partie de nous d'autant plus évanescente qu'elle n'est plus liée à Dieu, notre âme. Comme Internet, nos "modèles" de magazines, outre qu'ils se ressemblent tous (nous modelons notre corps selon notre caprice, mais à la variété infinie des corps que nous devons à la nature ou à Dieu, succède les clones dont accouche le caprice monotone de l'homme), manifestent eux-aussi, dans leur maigreur terrifiante, cette désincarnation finale et programmatique de l'humanité.
"O mon corps, tant que tu pourras, garde-moi de mon âme.
Ne meurs pas, sois vivant, ne m'abandonne pas à elle seule.
Ne défaille pas, sois fort pour la tenir liée, enfermée, l'empêcher de me nuire.
Mange, bois, engraisse, sois épais afin qu'elle me soit moins aiguë.
Protège-moi contre elle tant que tu pourras. Défends-moi de toute ta substance, de tout ton poids, de toute la terre qui te tient aux pieds. Sauve-moi d'elle!"
01/12/2011
Dieu est (peut-être) mort
"Si Dieu semble avoir abandonné l'homme, si les apparences nous crient que "Dieu est mort", sa résurrection dépend de notre fidélité. A travers l'épaisseur du monde conquis par l'homme sur Dieu, j'entends l'appel silencieux, plus déchirant que tous les cris, du Père exilé de sa création : mon Fils, mon Fils pourquoi m'as-tu abandonné?" (Gustave Thibon, Aux Ailes de la lettre, pensées inédites 1932-1982).
11/10/2011
Du Care au Caire
Si j'avais un compte Tweeter, je ne résisterais pas à la tentation d'inciter Martine à oublier un instant le Care pour se préoccuper un peu plus du Caire.
06/06/2011
La conversion de Houellebecq et Taillandier, le retour
Dans L'Atelier du roman numéro 66, qui paraît ces jours-ci, je signe un article sur la conversion chez Houellebecq et Taillandier qui fut d'abord une entrée de ce blog. Il est des métamorphoses plus incroyables encore que celle de la vilaine chenille en beau papillon. (Et merci à Matthieu d'avoir rendu cette métamorphose possible.)
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