"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

05/06/2007

Quand « l’objectivité » se met au service du terrorisme islamiste

Ce dimanche 3 juin, jour de la fête de la Sainte Trinité, la matinée est déjà bien entamée. Au lieu d’assister à la messe comme je le devrais, je sirote encore mon café presque froid en écoutant d’une oreille distraite la radio d’Etat.
La maisonnée, bercée par la douce chaleur longtemps attendue du soleil, est réunie pour un petit-déjeuner si tardif qu’il mériterait le nom de Brunch si ce vocable n’était pas parfaitement ridicule. L’ambiance est au beau fixe, le soleil et le petit dernier aidant. Celui-ci, du haut de sa chaise haute, s’ingénie en effet, stimulé par le regard attendri de ses parents, à faire rire ses aînés en projetant aux quatre coins de la salle à manger tout ce qui se trouve dans son rayon d’action. Pour le plus grand bonheur de ses sujets extasiés, l’enfant-roi règne sur son royaume et, en cette douce matinée qui semble indûment bénie du ciel, il se montre même libéral, émiettant ses restes de croissant délicatement prémâchés dans les bols alentours. Luxe (relatif), calme (précaire), et volupté (modérée), quoi de plus banal en France en ce début de XXIème siècle?
Le même jour dans la soirée, toujours en famille, ne parvenant pas à me concentrer sur le dernier livre de Benoît XVI, je laisse notre pasteur à d’autres brebis et allume à nouveau la même radio d’Etat, tout en me décidant à préparer le repas. Une fois chacun servi, le rite matinal semble se reproduire sans heurt majeur jusqu’au moment où la journaliste de garde, se faisant l’involontaire instrument de la providence (mieux vaut tard que jamais) et sans précaution oratoire autre que le ton éploré qu’elle croit bon d’adopter en cette grave circonstance, vient saboter le plaisir de nos agapes. Pour la première fois depuis au moins plein d’années, nous l’apprenons, la France « ne comptera pas de représentant en 1/8 de finale aux internationaux de France de Tennis à Roland Garros ». La consternation se lit sur les visages de quelques-uns, la maison comptant plusieurs adeptes de ce sport exigeant où la France n’a que trop peu l’occasion de briller. Pourtant, le spectre de la vengeance divine parait s’éloigner lorsque la speakerine nous apprend sans transition qu’il y a quand même des raisons de se réjouir puisque la France, toujours elle, a battu l’Ukraine au football et qu’elle ne s’est inclinée que « de trente points » contre les « All-blacks » au rugby, un motif de fierté qui ne s’impose pourtant pas tout de go aux oreilles des béotiens au pays de l’ovalité que nous sommes. Mais nous sommes aussi de bons français, cocardiers et obéissants autant qu’il le faut aux mots d’ordre officiels. En conséquence, nous sommes prêts à nous réjouir d’une défaite si l’honneur de la patrie l’exige. Poursuivant sur le ton guilleret adopté pour cocoriquer les exploits des bleus (au moins lorsqu’ils se mettent en bande), l’animatrice aborde ensuite le dossier irakien. Il semble en effet que depuis quelques années (depuis 2003 exactement) les nouvelles en provenance d’Irak soient une source de joie pour une bonne part de ce que notre pays compte de commentateurs, heureux qu’ils sont de constater pour la plupart que « l’on » ne s’était pas trompé lorsque « l’on » avait prédit l’enfer aux Américains. « Nous sommes tous américains », affirmaient-ils fièrement dés le 11 septembre 2001, oubliant de préciser qu’ils le seraient partout sauf là où les Américains (les vrais) pourraient avoir besoin d’eux.
Chrétiens, par contre, il semble que nous ne le sommes nulle part, pas plus en Irak qu’ailleurs. Car, trêve de bonne humeur et de badinage, ce que j’entends à la radio d’Etat ce 3 juin, jour de la fête de la Sainte Trinité, me stupéfie. Au cours de « violences interreligieuses » quatre hommes ont été tués en Irak. A première écoute, rien de très remarquable dans ce pays à feu et à sang. Mais à la réflexion si, il est très remarquable que le meurtre de sang froid, au sortir de la messe de quatre hommes désarmés soit qualifié de « violences interreligieuses ». Sur une radio d’Etat en France en 2007, j’apprends que lorsque quatre hommes sont abattus de sang froid après la messe il s’agit de « violences interreligieuses ». Que s’est-il donc passé et quels ont été les crimes commis par ces chrétiens qui impliqueraient que leur assassinat puisse être qualifié sur une radio officielle d’un pays démocratique et naguère chrétien de « violences interreligieuses » ? S’agit-il d’une vengeance bien compréhensible à la suite d’exactions qui auraient été commises par des milices chrétiennes en Irak ?
Non. Il semble plutôt que depuis quelques années la communauté des chrétiens chaldéens en Irak, ultra minoritaire dans son pays, soit victime de ce qu’il faut bien appeler des persécutions concertées et de grande ampleur. En fait de « violence interreligieuse », il suffit de s’informer un minimum pour savoir que ce que subissent aujourd’hui les chrétiens en Irak relève plutôt de la tuerie planifiée et unilatérale. Pour qualifier cela, des expressions telles que « nettoyage religieux » ou « persécution systématique » seraient mieux indiquées que ce coupable euphémisme, cette litote indigne : « violence interreligieuse ». A moins que le chantage à la conversion, les tortures et l’assassinat par des groupes extrémistes puisse être appelés « violence interreligieuse » ?
Il est une façon « d’informer » qui sous couvert de neutralité participe à l’occultation de la réalité, et permet au crime de prospérer. Lorsque les protagonistes d’une tragédie sont renvoyés dos à dos au nom d’une pseudo objectivité, la réalité devient illisible, et il est alors confortable d’incriminer la violence réciproque, « mimétique », qui arrime les ennemis l’un à l’autre.
Si la situation n’était pas si tragique, il y aurait quelque chose de comique dans notre courage à dénoncer partout une hypothétique islamophobie alors que les persécutions antichrétiennes se déchaînent en de multiples endroits de notre planète. Ces persécutions ne trouvent aucun écho en France, où elles sont au mieux qualifiées de « violences interreligieuses ».
Il est ridicule de le préciser mais « persécution systématique » et « violence interreligieuse » ne sont pas deux expressions synonymes. Il faut avoir un profond mépris de la langue et une bonne dose d’hypocrisie pour utiliser celle-ci lorsque celle-là s’impose.
D’où vient cette volonté d’occulter le sort terrible des chrétiens irakiens? Comment l’expliquer et la comprendre ? Je n’ai pas de réponse. Par contre il m’est possible de constater que l’antichristianisme se répand sans vergogne dans les pays post-chrétiens d’Europe.
Un exemple, pas tout à fait au hasard. Le 4 juin, sur Agoravox, un article confus et grandiloquent nous apprend la naissance d’un site Internet pompeusement baptisé « l’Observatoire des religions ». Or la visite de cet « observatoire » est instructive. Le premier article sous la rubrique « christianisme » claironne que Bernard de Clairvaux aurait prêché l’extermination des musulmans. Après une lecture attentive, il apparaît que la source de l’auteur est un texte juif qui fait l’éloge de Saint Bernard pour avoir cherché à éviter les persécutions contre les juifs au moment de la deuxième croisade. Voilà comment une déclaration connue de seconde main de Saint Bernard en faveur des Juifs devient un appel à « l’extermination des musulmans ».
Il existe aujourd’hui en France un antichristianisme de salon qui nourrit notre indifférence à l’égard du sort des chrétiens persécutés dans le monde musulman et ailleurs. Cet antichristianisme se farde d’un apparat scientifique et d’une objectivité ostentatoire qui confinent à ce qui ne serait que de la bêtise pure et simple si elle n’était aussi méchante.
L’Occident, la France, notre petit bien-être auquel nous sommes tant attachés doivent beaucoup au christianisme. Nous sommes les enfants de l’Eglise que nous le voulions ou non. Il est temps de payer notre dette et de défendre dans toute la mesure de notre possible (et il est parait-il immense depuis quelques semaines) ceux qui, parce qu’il sont fidèles à une foi qui fut la nôtre (au sens où nous sommes français et que la France fut -est ?- la fille aînée de l’Eglise), sont aujourd’hui persécutés.