"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

13/06/2007

Cachez cette vérité que je ne saurais voir

Il a été question il y a peu sur Agoravox de la laïcité dont la signification nous serait voilée. Voici quelques considérations qui partagent pour une part ce diagnostic et tente, pour le meilleur et pour le pire, de lever un coin du voile.
Nous autres, modernes, appuyés sur le « pilier du temple républicain » qu’est à en croire notre ancien président la loi de 1905, nous voulons à toute force « confiner la religion dans la sphère privée », comme s’il s’agissait d’une maladie honteuse ou contaminante. Bientôt, tels des fumeurs de gitanes spirituelles, les quelques catholiques qui tiendront encore à pratiquer leur vice seront priés de le faire discrètement, si possible quand tout le monde dormira ou s’éclatera dans des after, puis de vider les lieux dés que des touristes à moitié dénudés s’y présenteront en troupeau compact, guidés jusqu’aux portes des églises parsainte Mondialisation et mère Devise, sûrs de leur fait et de leur droit, pour jeter sur les merveilles de l’art chrétien leurs regards de bovidés nourris au lait du relativisme et de l’ouverture sur l’autre. Avant cela, puisqu’il nous faudra rendre grâce à l’insatiable Notre-Dame de la Tolérance, notre délicate ouïe laïque, pourtant altérée par les boum-boum des raves incessantes de chères têtes blondes, aura souffert à grand-peine que les cloches ecclésiales aient sonné délicatement l’heure de la messe et rassemblé un moment les maigres troupes d’une armée du Christ exténuée.
Quel étrange renversement ! Jusqu’au début du XIXe siècle le mot athée était une terrible insulte. Un être sans Dieu était immoral, nécessairement voué au mal. Manifester son incroyance c’était risquer le déshonneur, la prison et la mort.
Aujourd’hui, s’il serait grotesque de prétendre que c’est exactement l’inverse (puisqu’un croyant qui ose affirmer publiquement sa foi ne risque rien de plus que les quolibets des ricaneurs automatiques et autres sceptiques de confort qui ont pris le haut du pavé), il reste que la vertu a changé de camp.
Car le « croyant », qu’il croie en l’existence de Dieu ou en son inexistence, contrevient au Credo de l’heure, surtout si, frappé d’incontinence verbale, il peine à garder sa croyance pour lui.
« Qu’est-ce que la vérité ? » demande Pilate au Christ au moment de décider de son destin terrestre, et cette question ironique, tous les petits malins au goût du jour la posent avec la même ironie, comme s’ils étaient les premiers à le faire, sans vouloir voir qu’une réponse a été proposée à l’humanité à l’endroit même - dans les Evangiles - où elle s’est posée avec une telle intensité dramatique.
L’Evangile laïque pour sa part est pris dans une double contrainte : s’il lui faut mettre à distance toutes les croyances, il doit réserver pour lui-même une place neutre d’où il pourra juger de la recevabilité des opinions. Il lui faut donc s’extraire du relativisme qu’il promeut pour s’ériger en divinité absolue du relativisme. Les chevaliers de l’Evangile laïque pourchasseront donc avec un zèle particulier ceux qui, tels le pape, refusent de renoncer à la quête d’une vérité substantielle.
Mais simultanément et tragiquement, la modernité doit faire face au vide laissé par le retrait de la vérité dans l’arrière-boutique du système libéral. Puisque l’esprit s’efface, c’est le corps qui va « s’exprimer » à sa place et énoncera « sa » vérité infralangagière, iconique, irréfutable.
C’est ainsi que l’impératif moral du jour pousse à l’exhibition de l’intime, des mœurs et du corps quand l’expression des convictions, religieuses ou plus largement morales et philosophiques, passe pour choquante. L’expression tautologique de la vérité du moi par le corps se substitue à la manifestation de la vérité divine par l’esprit. Plus encore, toute forme de réticence à manifester publiquement ses préférences sexuelles ou à exhiber certaines des parties que l’on n’ose plus appeler intimes de sa personne est considérée comme une hypocrisie insupportable, comme un blasphème par omission, une offense faite aux trois grâces Modernité, Transparence et Fierté qui exigent que tout s’offre à leur vue.
Tout se passe comme si la pudeur du corps propre au catholicisme s’était reversée dans la pudeur de l’esprit propre à la religion moderne, pendant que l’impudeur de l’esprit se reversait dans l’impudeur du corps.
Mais si l’exhibition publique est la mort de l’érotisme, la pudeur est le « parfum de la volupté ». Le monde moderne a choisi de spiritualiser la pudeur tandis que l’impudeur triomphait.
Faut-il en déduire qu’au XXIe siècle le catholicisme sera aussi troublant que le fût naguère un être aimé sur le point de se dévêtir ?