"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

13/11/2008

Il bafouille, donc je suis



Lorsque Sarkozy bafouille, le noir sort de l’ombre.

Marguerite (1) me faisait remarquer en riant, le 6 novembre dernier, que les journaux qui prétendent faire l’opinion en France, Le Monde (pour ceux d’en haut) et Le Parisien (pour ceux d’en bas), ont eu, sans se concerter sans doute, la même étrange idée pour fêter l’arrivée d’Obama à la tête du monde (le vrai, pas le journal), donner un coup d’accélérateur à la carrière politique d’une obscure adjointe au maire de Paris, une jeune socialiste inconnue, Seybah Dagoma, afin que la France arrête d’être en retard sur ceux qui ont de l’avance pour ce qui concerne la visibilité des minorités visibles. C’est ainsi qu’au lendemain de la victoire d’Obama cette jeune femme de trente ans , sans doute bourrées de qualités je ne sais, s’est vue offrir une pleine page du Monde et une interview dans le journal Le Parisien, alors qu’elle est âgée d’à peine trente ans et qu’elle n’a rien réalisé de notable dans sa courte existence (à ma connaissance), puisqu’elle a même été battue par Jean-François Legaret alors qu’elle briguait la mairie du 1er arrondissement lors des dernières municipales. Elle dut donc se contenter d’un siège au Conseil de Paris avant que Bertrand Delanoë, en avance sur ceux qui ont de l’avance (mais en retard sur Sarkozy), ne pense à elle pour un poste d’adjointe à la Ramayadaterie parisienne. Pour ceux qui en douteraient, il n’y a rien de bien remarquable que d’être conseiller de Paris à 30 ans, Legaret lui-même l’était à cet âge là et n’a pas eu depuis la carrière mirobolante que le monde médiatique promet à Seybah Dagoma.

Perçoit-on comme moi, dans cette visibilité médiatique offerte à la jeune adjointe de Delanoë, la volonté de faire l’actualité plutôt que d’en rendre compte ou de la comprendre, comme c’est, jusqu’à plus ample informé, la vocation naturelle des journalistes ? Il me semble qu’en ouvrant ses colonnes à une inconnue on espère lui servir de tremplin pour lancer sa carrière politique. Une telle volonté correspond-elle à l’éthique journalistique telle que la conçoive ces journaux ? Je ne sais, mais on peut noter qu’en agissant ainsi, ils se conforment à un impératif récemment formulé par la haute HALDE de la discrimination qui consiste à demander aux livres d’histoire, non pas de refléter la réalité telle qu’elle est, mais de la refléter telle qu’elle devrait être, ou même, puisqu’il s’agit d’histoire, telle qu’elle aurait dû être. Va-t-on apprendre dorénavant à nos chères têtes blondes que celles de leurs parents étaient noires et que celle de Blaise Pascal était tournée vers Allah le miséricordieux ? Je ne sais pas non plus, mais sans revenir sur la nomination d’un vrai/faux premier préfet noir, on peut tout de même noter a minima qu’aujourd’hui en France le noir est une couleur à la mode. Personnellement, ça n’a rien pour me déplaire, depuis ma courte période Punk, il y a 25 ans environ, j’adore le noir. A l’époque c’était parce que ça faisait viril et méchant, aujourd’hui c’est plutôt parce que ça amincit, parait-il.

La preuve que le noir est à la mode, c’est que Télérama s’y est mis. Depuis qu’il n’est plus catholique, l’hebdomadaire culturel ne serait pour rien au monde en retard d’un effet de mode. On a donc eu droit dans son dernier numéro à des tartines dithyrambiques de noir sur fond blanc à propos des toiles de Soulages et surtout à un intéressant portrait d’Audrey Pulvar, une journaliste antillaise de la 3. Moi, Audrey Pulvar, je n’ai franchement rien contre elle, croyez-moi. Elle ressemble plutôt à la bru idéale, un peu dans le style beauté froide de Claire Chazal qui plaisait tant naguère aux Français moyens dont je me vante de faire partie. Fin sourire et expressivité minimum, très bon chic bon genre. Mais elle a l’avantage sur Claire Chazal de correspondre aux canons de l’époque : sa peau noire claire, si une telle chose existe, et sa chevelure noire noire, sont aujourd’hui beaucoup plus dans le coup que le teint blafard et les cheveux blonds de Mme Chazal. Bref, a priori elle a tout pour me plaire, cette Audrey Pulvar, moi qui ne redoute rien tant que d’exposer à la face du monde ma ringardise congénitale de petit blanc. Une présentatrice antillaise, je suis pour comme tout le monde, je trouve ça trop sympa, ça fait trop longtemps qu’on est des ploucs en France avec tous ces blancs à la télé qui sentent encore jusque dans le poste la bouse accrochée aux sabots de leurs grands-parents. C’est donc d’un œil bienveillant et à peine malicieux que je me plongeais dans mon hebdomadaire favori (si j’excepte la gazette municipale qui m’apprend tout sur « l’actu » de mes voisins, à peu près tous artistes -si j’excepte encore un cheminot retraité et égaré parmi les bobos bien qu’il habite là depuis 40 ans- voisins auxquels ma timidité naturelle m’empêche d’aller rendre visite lors des journées « ateliers ouverts à tous vents » organisés par la municipalité), un peu surpris quand même que cet hebdomadaire qui fait la pluie et le beau temps dans les milieux culturels de notre pays ait choisi de consacrer plusieurs pages à une journaliste encore assez peu connue malgré tout. De quel talent caché disposait donc la dame pour mériter un tel honneur ? Il m’a fallu m’y prendre à deux fois pour croire la réponse donnée par le magazine. Le talent de cette Audrey, c’est de faire bafouiller ses interlocuteurs. Aujourd’hui en France on considère qu’une journaliste mérite d’être distinguée de et par ses pairs parce qu’elle fait bafouiller ceux à qui elle s’adresse. Me comprend-on ? A quand le prix Albert Londres pour le journaliste qui saura obtenir des gens qu’il rencontre les réponses les moins compréhensibles ? Un prix qu’il faudra rebaptiser prix du galimatias et du salmigondis ?

En lisant cet étrange article j’ai compris que la volonté de faire l’actualité plutôt que de la refléter d’une part et cette apologie du galimatias politique de l’autre ressortissaient du même phénomène. Aujourd’hui les hommes politiques ne sont plus porteurs d’une parole, mais ne sont que le simple reflet médiatique de leur propre image, ce qui n’est vraiment pas grand-chose. Un reflet en noir et blanc. Sans vision, sans profondeur historique, sans projet, sans rien. De simples icônes. Noire pour Le Pen, blanche pour Seybah Dagoma, par exemples. Le monde médiatique a besoin des deux, mais seulement des deux. Les hommes politiques ne sont que les produits d’un système médiatique qui prétend s’octroyer un double privilège, malgré la démocratie, celui du choix des membres éminents de la classe politique, et celui de l’intelligibilité du discours. Il faut comprendre que l’autonomie de pensée des hommes politiques, si elle existe, se doit d’être brouillée, puisque le fait de faire bafouiller un homme politique est considéré comme une grande victoire. Au mieux ces hommes politiques ne sont, tels Seybah Dagoma, que les poulains de ces écuries politiques sans politique que sont devenus l’air de rien les grands médias, au pire ils sont mis au banc des accusés. Accusés qui se doivent de bredouiller leurs réponses aux questions comminatoires des journalistes afin de jouer le rôle des méchants dans la grande farce universelle et orchestrée par les forces coalisées du Bien que sont devenus les médias.

« Quand je pose une question j’attends une réponse. C’est le minimum. » Nous voilà avertit sèchement par Mme Pulvar. Tenons nous-le pour dit, et sachons ainsi reconnaître qui sont les véritables procureurs et inquisiteurs de notre temps.
(1) Marguerite, c’est l’élue de mon coeur, elle est de gauche, tendance verte et athée, et elle m’aime quand même, ça vous étonne, mais c’est comme ça !

Crédit photo : Léa Crespi pour Télérama (ça fait classe non, on dirait un vrai journaliste).