"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

18/06/2007

L’archéo-conservatisme est un humanisme

Présidentielle 2007 : la gauche contre la droite ou le changement contre le changement. La victoire de Sarkozy fut celle de l’agitation compulsive sur le bougisme incontrôlé. Ou inversement. Chacun le constate aisément : pendant cette campagne, Ségolène Royal incarnait le changement pendant que Nicolas Sarkozy le promouvait. Le PS menaçait de tout remettre à plat quand l’UMP promettait qu’avec Sarkozy tout deviendrait possible. Le lyrisme du changement qui s’est manifesté sans frein au cours de la campagne a balayé les restes de conservatisme qui jonchaient encore ici et là le sol des permanences électorales. Les jeux sont faits : dorénavant nous le savons, le changement a carte blanche.
Car au jeu du changement à tout prix c’est le plus enthousiaste qui l’a emporté. Ségolène Royal et surtout le PS restaient encore trop « franchouillards », arc-boutés sur les « acquis sociaux » et compromis par leurs liens avec les écologistes dont les réticences à livrer un culte à la croissance étaient jugées à la fois archaïques et irréalistes.
Contre la réalité de la France telle qu’elle est (avec ses imperfections mais aussi sa densité historique, ses acquis institutionnels et ses paysages travaillés par l’homme durant des siècles), Nicolas Sarkozy, au soir du premier tour, s’est réclamé emphatiquement d’un « nouveau rêve français ». Puisqu’il s’est bien gardé de le faire, je préciserai moi-même ce qu’il faut entendre par cette expression (et que d’ailleurs tout le monde entend) : il s’agit d’une translation fidèle du concept d’American Dream. Peut-être certains trouveront qu’il y a quelque paradoxe à invoquer un « rêve français », fût-il nouveau, qui renvoie immédiatement au projet fondateur des Etats-Unis. Mais plus profondément, par cette expression, Sarkozy a vendu la mèche : le rêve français le mieux partagé aujourd’hui c’est peut-être celui de la disparition de la France.
Constatons-le en effet, notre nouveau président, élu triomphalement avec 53,06% des voix, le chantre d’une vague « identité française », se fait simultanément l’apôtre et l’agent de « l’alignement des provinces (Kojève) » : la France n’est qu’un Etat comme les autres, Etat à unir d’urgence au processus de mondialisation accéléré actuellement en cours, mais auquel nulle autre possibilité n’existe que de se conformer. Au-delà du discours volontaire, pointe un renoncement à ce qui peut-être pourrait constituer une identité française, identité mouvante et ouverte certes, mais identité tout de même...
Il existe une façon de faire de la surenchère sur le processus de la mondialisation qui est typique des apologistes du monde tel qu’il va. Cette apologie pourrait paraître superflue, voire redondante. Car si ce qui se produit est la mondialisation, pourquoi faudrait-il encore en rajouter et « s’y adapter », alors que justement la mondialisation est un processus d’ajustement ?
Les hommes aiment à s’observer les uns les autres, et la modernité a élargi l’horizon du regard. La force du mimétisme humain produit la mondialisation, synonyme de déflagration pour les formes politiques anciennes (les nations par exemple) qui ont organisé les communautés humaines depuis des siècles, sinon des millénaires. Cette déflagration est d’autant plus puissante que les nations avaient été préalablement minées par le discrédit qui les a frappées après les deux grandes guerres du XXe siècle. Les maux que l’on impute à la nation, nous les connaissons par cœur. Ce que nous avons oublié, ce sont ses vertus. En voici une et pas des moindres : il est heureux que la nation nous permette encore, serait-ce seulement par intermittence, de transcender notre désir dans la politique, et de le cristalliser loin de la scène économique globale.
A travers le bougisme contemporain, c’est la haine de ces formes anciennes - considérées comme des obstacles à l’insertion harmonieuse de « l’Hexagone » dans la mondialisation - qui se manifeste. Il suffit, pour s’en convaincre, d'écouter les diatribes incessantes du mondialo-mondial Ernest-Antoine Sellière qui veut « arrêter d’être franco-français », et donc sans doute aussi d’être français tout court. Les ennemis les plus féroces de la forme nationale ne se trouvent pas forcément où l’on croit.
En claironnant son attachement à la France, mais une France rêvée, fantasmée même à l’image de la puissance dominante qui se trouve être les Etats-Unis (mais le Bangladesh serait-il dominant qu’il s’agirait du Bangladesh, les Etats-Unis ne sont pas en cause), Sarkozy offre aux Français une compensation symbolique. Au fond, s’agit-il d’autre chose que de liquider substantiellement une bonne fois pour toutes ce qu’il restaure symboliquement ? Dans sa haine du provincialisme français, dans son goût pour les élites internationales, Sarkozy ressemble fort aux révolutionnaires de pacotille qui prétendirent il y a deux générations faire la révolution à l’unisson du tiers-monde pour liquider au passage l’héritage de la petite bourgeoise française qui se trouvait être celui de leurs pères. L’amour du lointain a souvent pour corollaire la haine du proche. Dans le snobisme antifrançais qu’il manifeste presque malgré lui, le véritable héritier de Mai 1968 c’est peut-être Sarkozy.
Cet abandon aux forces déchaînées de l’argent roi, à la vulgarité de la simple distinction par la richesse, à l’apologie de la réussite pour la réussite qui se manifeste en France par l’élection de Nicolas Sarkozy, ne mérite pas d’être baptisé du beau nom de « libéralisme » dont tant de grands auteurs se sont réclamés. Il s’agit d’autre chose. Il s’agit de la victoire de la conception d’un monde unifié sous la bannière de l’économisme et de la croissance effrénée, monde dans lequel tout, sans tabou, peut s’approprier mais où simultanément le nom propre dans ce qu’il a d’inaliénable et de singulier (la France) disparaît ou se dégrade en titre de propriété échangeable et monnayable, monde dans lequel la simple beauté de ce qui est, de ce qui n’est pas mesurable et quantifiable, n’a pas sa place.
Alors que partout dans le monde le processus incontrôlé de la mondialisation provoque un bouleversement des modes de vie traditionnels, qu’il ruine les paysages, que la hideur d’une modernité triomphante se déchaîne (à ceux qui en doutent, je conseille une visite même rapide des grandes villes chinoises, monstres de verre, d’acier et de béton qui se substituent rageusement à la vieille Chine dont plus aucun Chinois ne semble vouloir ; le miracle chinois sera un cauchemar, et d’abord pour les Chinois), avons-nous vraiment besoin d’une politique dont l’ambition principale paraît être l’accélération d’un processus de toute façon en cours ?
La France telle qu’elle est ne mérite donc pas que l’on se soucie d’elle ? La souffrance en France est-elle si grande que tout doit être changé pour que tout devienne possible ? Du passé faisons table rase, claironne le capitalisme triomphant, et j’ai beau tendre l’oreille, je n’entends rien d’autre.
Au nom de la beauté de ce qui existe, une « résistance » au bougisme contemporain est-elle possible ? Le culte du changement, notre nouveau veau d’or, fait rage. Qui aura la force, la lucidité morale d’incarner le souci du monde tel qu’il est, et non la promesse du monde tel qu’il devrait être pour complaire aux caprices les plus futiles d’une humanité qui semble avoir oublié toute mesure ? La mondialisation est un cheval emballé et la dernière chose que nous devrions faire est de l’éperonner.
Face aux forces (apparemment opposées mais de fait conjuguées) du progressisme et du néoconservatisme, seul l’archéo-conservatisme est un humanisme.

17/06/2007

Intelligence collective?

« Quand la haine des hommes ne comporte aucun risque, leur bêtise est vite convaincue, les motifs viennent tout seuls. » Céline, Voyage au bout de la nuit.

Dans la présentation de son projet Agoravox prétend hâter le passage des mass médias aux médias des masses. Mais n’en sommes nous pas déjà aux médias des meutes ?

L’intelligence peut-elle être collective ? Une chose au moins est sûre, c’est que la bêtise, elle, s’accommode parfaitement du plus grand nombre. Elle semble même en faire son triste miel, s’y épanouir comme la mauvaise herbe sur le fumier. Agoravox en a fourni une nouvelle fois la preuve éclatante mercredi 13 et jeudi 14 juin dans les commentaires qui se sont succédés à la suite de l’article intitulé « Politique de regroupement familial : le mensonge ».
Rapidement, sans raison apparente ou intelligible, les calomnies ont succédé aux insultes, les menaces aux rodomontades. Des intervenants parfois mieux inspirés se sont livrés tels de petits coqs à une nanomachie d’autant plus dérisoire que les menaces restaient fatalement virtuelles. Tout cela donnait l’impression d’assister à un remake d’un combat des chefs digne du septième album des aventures d’Astérix le Gaulois, mettant aux prises des protagonistes s’épuisant à échanger des coups qui ne portent jamais.
Avec au bout des doigts le monde entier virtuellement disponible, affranchis par la potion magique Internet des contraintes et des risques inhérents au monde physique, nous nous sentons tout puissants, prêts à en découdre avec nos persécuteurs et adversaires, convaincus que notre point de vue est le bon, que notre éclairage sur le monde ne souffre ni contradiction, ni réplique. Le problème est que nous devons partager cette toute-puissance et cette conviction avec tous les autres internautes, logés exactement à la même enseigne que nous. La rencontre de tous ces petits dieux dérisoires offre le spectacle d’une sorte d’Olympe virtuelle et déroutante, où la violence, aussi déchaînée soit-elle, est un peu ridicule parce que purement théorique.
Agoravox mériterait ainsi d’être rebaptisée Agorabox, voire Charivarox en tant que lieu de tous les défoulements. Ici, les ripostes narquoises succèdent sans fin aux saillies sarcastiques, les réparties définitives aux répliques assassines. Ici, chacun « poste son commentaire » comme ailleurs on se soulage et, tout fier d’avoir porté l’estocade finale, contemple son œuvre sur l’écran jusqu’à ce que son clone invisible, derrière un autre écran ne vienne détruire cette belle illusion de meurtre parfait en prolongeant une discussion qui depuis longtemps, ne serait-ce que parce que ses parties prenantes devraient avoir un souci plus vif de l’image qu’elles donnent, aurait dû mourir de sa belle mort. Pourtant, notre rêve de toute-puissance a beau se trouver démenti dans les humiliations en chaîne que ces échanges suscitent, il ne cesse de renaître de ses cendres.
Pire encore, ces échanges sans fin se focalisent bien souvent dans des diffamations réciproques et paranoïdes où un seul est accusé de manipuler tout le monde, comme si la nécessité d’identifier un ennemi tangible derrière la foule des rivaux anonymes et insaisissables étaient une nécessité vitale, un peu comme certains ont cru voir la figure singulière du Juif ou du Franc-maçon derrière les foules oppressantes et tentaculaires mises en marche par la modernité. Lorsque notre toute-puissance se trouve contrecarrée, il faut trouver une explication à la mesure de cette toute-puissance. Puisque derrière notre écran nous nous sentons dans un même mouvement tout-puissant et humilié, il faut humilier en retour la toute-puissante fantasmée de l’insaisissable rival.
Tout cela suscite des phénomènes des plus curieux. C’est ainsi que des internautes visiblement accros à la machine accusent leurs doubles de rester branchés « 24/24 et 7/7 » à Agoravox, comme si leur propre misère métaphysique devenait plus acceptable lorsqu’elle était imputée aux autres.
Lorsque nous intervenons sur Agoravox la machine fait écran entre nous et autrui, et c’est ainsi que derrière l’écran les distances non seulement physiques, mais aussi symboliques, s’effondrent. Un peu à la manière des automobilistes à l’abri de leur carcasse d’acier, nous pouvons nous permettre sans risquer l’algarade d’interpeller sans manière, de reprendre et finalement d’insulter autrui. La condition d’une vie en communauté durable entre égaux passe par le souci des formes. L’homme est un animal belliqueux qui ne tient jamais pour acquis ou suffisamment légitimes les différences hiérarchiques qui permettent de contenir la rivalité. Sur Internet ces différences disparaissent et le nivellement généralisé qu’impose la technique (et que d’ailleurs notre esprit démocratique appelle de ses vœux) est source d’une familiarité entre étrangers tout à fait inédite. Cette familiarité permet des échanges d’une vivacité et d’une liberté elles aussi inédites. Mais cette liberté et cette vivacité ont un prix. On sait que lorsque les échanges verbaux entre deux interlocuteurs se font plus rapides, il devient probable qu’ils vont dégénérer. Des échanges d’insultes aux échanges de coups, il n’y a qu’un pas, qu’heureusement Internet nous empêche de franchir. Lorsque nous nous trouvons face à un interlocuteur en chair et en os, mille choses (des préjugés, des peurs, des habitudes), toutes constitutives de la civilisation, nous empêchent de manifester trop clairement de l’hostilité. Un homme hésitera sans doute à s’en prendre à une femme ou à un enfant, mais aussi à un autre homme plus costaud que lui auquel il fera face. Chacun d’entre nous aura sans doute des scrupules à agresser physiquement une personne âgée ou un handicapé, cependant qu’ensemble, dans le monde virtuel, tout devient possible. Les tabous sont levés et il devient envisageable de se livrer tout entier à son irritation. L’hyperdémocratie propre à l’hypermodernité dans laquelle nous vivons ne comprend plus la nécessité des formes communes que sont la politesse, le sens de la hiérarchie et des différences sociales. Ces différences sont vécues comme des entraves à la liberté d’action des individus, comme une modalité de la répression sociale et in fine une négation de la toute-puissance infantile dans lequel le rêve d’Internet nous entretient. Certains ont vu en ce réseau un formidable accélérateur de l’égalisation des conditions. Ce qu’ils n’avaient pas prévu c’était leur propre effroi devant le sentiment d’avoir eu raison.
Nous découvrons à l’occasion de ces misérables foires d’empoigne, où chacun se dégrade au point d’être prêt à insulter un inconnu, la nécessité du maintien des formes civiles dans le commerce avec autrui. Il nous faut aussi reconnaitre les bienfaits que nous devons à une certaine retenue, à une distance symbolique entre notre interlocuteur et nous-mêmes, et dont notre temps hyperdémocratique nous avait fait perdre le sens et le goût.

13/06/2007

Cachez cette vérité que je ne saurais voir

Il a été question il y a peu sur Agoravox de la laïcité dont la signification nous serait voilée. Voici quelques considérations qui partagent pour une part ce diagnostic et tente, pour le meilleur et pour le pire, de lever un coin du voile.
Nous autres, modernes, appuyés sur le « pilier du temple républicain » qu’est à en croire notre ancien président la loi de 1905, nous voulons à toute force « confiner la religion dans la sphère privée », comme s’il s’agissait d’une maladie honteuse ou contaminante. Bientôt, tels des fumeurs de gitanes spirituelles, les quelques catholiques qui tiendront encore à pratiquer leur vice seront priés de le faire discrètement, si possible quand tout le monde dormira ou s’éclatera dans des after, puis de vider les lieux dés que des touristes à moitié dénudés s’y présenteront en troupeau compact, guidés jusqu’aux portes des églises parsainte Mondialisation et mère Devise, sûrs de leur fait et de leur droit, pour jeter sur les merveilles de l’art chrétien leurs regards de bovidés nourris au lait du relativisme et de l’ouverture sur l’autre. Avant cela, puisqu’il nous faudra rendre grâce à l’insatiable Notre-Dame de la Tolérance, notre délicate ouïe laïque, pourtant altérée par les boum-boum des raves incessantes de chères têtes blondes, aura souffert à grand-peine que les cloches ecclésiales aient sonné délicatement l’heure de la messe et rassemblé un moment les maigres troupes d’une armée du Christ exténuée.
Quel étrange renversement ! Jusqu’au début du XIXe siècle le mot athée était une terrible insulte. Un être sans Dieu était immoral, nécessairement voué au mal. Manifester son incroyance c’était risquer le déshonneur, la prison et la mort.
Aujourd’hui, s’il serait grotesque de prétendre que c’est exactement l’inverse (puisqu’un croyant qui ose affirmer publiquement sa foi ne risque rien de plus que les quolibets des ricaneurs automatiques et autres sceptiques de confort qui ont pris le haut du pavé), il reste que la vertu a changé de camp.
Car le « croyant », qu’il croie en l’existence de Dieu ou en son inexistence, contrevient au Credo de l’heure, surtout si, frappé d’incontinence verbale, il peine à garder sa croyance pour lui.
« Qu’est-ce que la vérité ? » demande Pilate au Christ au moment de décider de son destin terrestre, et cette question ironique, tous les petits malins au goût du jour la posent avec la même ironie, comme s’ils étaient les premiers à le faire, sans vouloir voir qu’une réponse a été proposée à l’humanité à l’endroit même - dans les Evangiles - où elle s’est posée avec une telle intensité dramatique.
L’Evangile laïque pour sa part est pris dans une double contrainte : s’il lui faut mettre à distance toutes les croyances, il doit réserver pour lui-même une place neutre d’où il pourra juger de la recevabilité des opinions. Il lui faut donc s’extraire du relativisme qu’il promeut pour s’ériger en divinité absolue du relativisme. Les chevaliers de l’Evangile laïque pourchasseront donc avec un zèle particulier ceux qui, tels le pape, refusent de renoncer à la quête d’une vérité substantielle.
Mais simultanément et tragiquement, la modernité doit faire face au vide laissé par le retrait de la vérité dans l’arrière-boutique du système libéral. Puisque l’esprit s’efface, c’est le corps qui va « s’exprimer » à sa place et énoncera « sa » vérité infralangagière, iconique, irréfutable.
C’est ainsi que l’impératif moral du jour pousse à l’exhibition de l’intime, des mœurs et du corps quand l’expression des convictions, religieuses ou plus largement morales et philosophiques, passe pour choquante. L’expression tautologique de la vérité du moi par le corps se substitue à la manifestation de la vérité divine par l’esprit. Plus encore, toute forme de réticence à manifester publiquement ses préférences sexuelles ou à exhiber certaines des parties que l’on n’ose plus appeler intimes de sa personne est considérée comme une hypocrisie insupportable, comme un blasphème par omission, une offense faite aux trois grâces Modernité, Transparence et Fierté qui exigent que tout s’offre à leur vue.
Tout se passe comme si la pudeur du corps propre au catholicisme s’était reversée dans la pudeur de l’esprit propre à la religion moderne, pendant que l’impudeur de l’esprit se reversait dans l’impudeur du corps.
Mais si l’exhibition publique est la mort de l’érotisme, la pudeur est le « parfum de la volupté ». Le monde moderne a choisi de spiritualiser la pudeur tandis que l’impudeur triomphait.
Faut-il en déduire qu’au XXIe siècle le catholicisme sera aussi troublant que le fût naguère un être aimé sur le point de se dévêtir ?

05/06/2007

Quand « l’objectivité » se met au service du terrorisme islamiste

Ce dimanche 3 juin, jour de la fête de la Sainte Trinité, la matinée est déjà bien entamée. Au lieu d’assister à la messe comme je le devrais, je sirote encore mon café presque froid en écoutant d’une oreille distraite la radio d’Etat.
La maisonnée, bercée par la douce chaleur longtemps attendue du soleil, est réunie pour un petit-déjeuner si tardif qu’il mériterait le nom de Brunch si ce vocable n’était pas parfaitement ridicule. L’ambiance est au beau fixe, le soleil et le petit dernier aidant. Celui-ci, du haut de sa chaise haute, s’ingénie en effet, stimulé par le regard attendri de ses parents, à faire rire ses aînés en projetant aux quatre coins de la salle à manger tout ce qui se trouve dans son rayon d’action. Pour le plus grand bonheur de ses sujets extasiés, l’enfant-roi règne sur son royaume et, en cette douce matinée qui semble indûment bénie du ciel, il se montre même libéral, émiettant ses restes de croissant délicatement prémâchés dans les bols alentours. Luxe (relatif), calme (précaire), et volupté (modérée), quoi de plus banal en France en ce début de XXIème siècle?
Le même jour dans la soirée, toujours en famille, ne parvenant pas à me concentrer sur le dernier livre de Benoît XVI, je laisse notre pasteur à d’autres brebis et allume à nouveau la même radio d’Etat, tout en me décidant à préparer le repas. Une fois chacun servi, le rite matinal semble se reproduire sans heurt majeur jusqu’au moment où la journaliste de garde, se faisant l’involontaire instrument de la providence (mieux vaut tard que jamais) et sans précaution oratoire autre que le ton éploré qu’elle croit bon d’adopter en cette grave circonstance, vient saboter le plaisir de nos agapes. Pour la première fois depuis au moins plein d’années, nous l’apprenons, la France « ne comptera pas de représentant en 1/8 de finale aux internationaux de France de Tennis à Roland Garros ». La consternation se lit sur les visages de quelques-uns, la maison comptant plusieurs adeptes de ce sport exigeant où la France n’a que trop peu l’occasion de briller. Pourtant, le spectre de la vengeance divine parait s’éloigner lorsque la speakerine nous apprend sans transition qu’il y a quand même des raisons de se réjouir puisque la France, toujours elle, a battu l’Ukraine au football et qu’elle ne s’est inclinée que « de trente points » contre les « All-blacks » au rugby, un motif de fierté qui ne s’impose pourtant pas tout de go aux oreilles des béotiens au pays de l’ovalité que nous sommes. Mais nous sommes aussi de bons français, cocardiers et obéissants autant qu’il le faut aux mots d’ordre officiels. En conséquence, nous sommes prêts à nous réjouir d’une défaite si l’honneur de la patrie l’exige. Poursuivant sur le ton guilleret adopté pour cocoriquer les exploits des bleus (au moins lorsqu’ils se mettent en bande), l’animatrice aborde ensuite le dossier irakien. Il semble en effet que depuis quelques années (depuis 2003 exactement) les nouvelles en provenance d’Irak soient une source de joie pour une bonne part de ce que notre pays compte de commentateurs, heureux qu’ils sont de constater pour la plupart que « l’on » ne s’était pas trompé lorsque « l’on » avait prédit l’enfer aux Américains. « Nous sommes tous américains », affirmaient-ils fièrement dés le 11 septembre 2001, oubliant de préciser qu’ils le seraient partout sauf là où les Américains (les vrais) pourraient avoir besoin d’eux.
Chrétiens, par contre, il semble que nous ne le sommes nulle part, pas plus en Irak qu’ailleurs. Car, trêve de bonne humeur et de badinage, ce que j’entends à la radio d’Etat ce 3 juin, jour de la fête de la Sainte Trinité, me stupéfie. Au cours de « violences interreligieuses » quatre hommes ont été tués en Irak. A première écoute, rien de très remarquable dans ce pays à feu et à sang. Mais à la réflexion si, il est très remarquable que le meurtre de sang froid, au sortir de la messe de quatre hommes désarmés soit qualifié de « violences interreligieuses ». Sur une radio d’Etat en France en 2007, j’apprends que lorsque quatre hommes sont abattus de sang froid après la messe il s’agit de « violences interreligieuses ». Que s’est-il donc passé et quels ont été les crimes commis par ces chrétiens qui impliqueraient que leur assassinat puisse être qualifié sur une radio officielle d’un pays démocratique et naguère chrétien de « violences interreligieuses » ? S’agit-il d’une vengeance bien compréhensible à la suite d’exactions qui auraient été commises par des milices chrétiennes en Irak ?
Non. Il semble plutôt que depuis quelques années la communauté des chrétiens chaldéens en Irak, ultra minoritaire dans son pays, soit victime de ce qu’il faut bien appeler des persécutions concertées et de grande ampleur. En fait de « violence interreligieuse », il suffit de s’informer un minimum pour savoir que ce que subissent aujourd’hui les chrétiens en Irak relève plutôt de la tuerie planifiée et unilatérale. Pour qualifier cela, des expressions telles que « nettoyage religieux » ou « persécution systématique » seraient mieux indiquées que ce coupable euphémisme, cette litote indigne : « violence interreligieuse ». A moins que le chantage à la conversion, les tortures et l’assassinat par des groupes extrémistes puisse être appelés « violence interreligieuse » ?
Il est une façon « d’informer » qui sous couvert de neutralité participe à l’occultation de la réalité, et permet au crime de prospérer. Lorsque les protagonistes d’une tragédie sont renvoyés dos à dos au nom d’une pseudo objectivité, la réalité devient illisible, et il est alors confortable d’incriminer la violence réciproque, « mimétique », qui arrime les ennemis l’un à l’autre.
Si la situation n’était pas si tragique, il y aurait quelque chose de comique dans notre courage à dénoncer partout une hypothétique islamophobie alors que les persécutions antichrétiennes se déchaînent en de multiples endroits de notre planète. Ces persécutions ne trouvent aucun écho en France, où elles sont au mieux qualifiées de « violences interreligieuses ».
Il est ridicule de le préciser mais « persécution systématique » et « violence interreligieuse » ne sont pas deux expressions synonymes. Il faut avoir un profond mépris de la langue et une bonne dose d’hypocrisie pour utiliser celle-ci lorsque celle-là s’impose.
D’où vient cette volonté d’occulter le sort terrible des chrétiens irakiens? Comment l’expliquer et la comprendre ? Je n’ai pas de réponse. Par contre il m’est possible de constater que l’antichristianisme se répand sans vergogne dans les pays post-chrétiens d’Europe.
Un exemple, pas tout à fait au hasard. Le 4 juin, sur Agoravox, un article confus et grandiloquent nous apprend la naissance d’un site Internet pompeusement baptisé « l’Observatoire des religions ». Or la visite de cet « observatoire » est instructive. Le premier article sous la rubrique « christianisme » claironne que Bernard de Clairvaux aurait prêché l’extermination des musulmans. Après une lecture attentive, il apparaît que la source de l’auteur est un texte juif qui fait l’éloge de Saint Bernard pour avoir cherché à éviter les persécutions contre les juifs au moment de la deuxième croisade. Voilà comment une déclaration connue de seconde main de Saint Bernard en faveur des Juifs devient un appel à « l’extermination des musulmans ».
Il existe aujourd’hui en France un antichristianisme de salon qui nourrit notre indifférence à l’égard du sort des chrétiens persécutés dans le monde musulman et ailleurs. Cet antichristianisme se farde d’un apparat scientifique et d’une objectivité ostentatoire qui confinent à ce qui ne serait que de la bêtise pure et simple si elle n’était aussi méchante.
L’Occident, la France, notre petit bien-être auquel nous sommes tant attachés doivent beaucoup au christianisme. Nous sommes les enfants de l’Eglise que nous le voulions ou non. Il est temps de payer notre dette et de défendre dans toute la mesure de notre possible (et il est parait-il immense depuis quelques semaines) ceux qui, parce qu’il sont fidèles à une foi qui fut la nôtre (au sens où nous sommes français et que la France fut -est ?- la fille aînée de l’Eglise), sont aujourd’hui persécutés.

31/05/2007

De la disparition des complexes et de Celui qui en est la Cause

Œdipe était roi et, chose étrange, il avait paraît-il un complexe. Ce complexe le gêna tant dans l’exercice de ses hautes fonctions qu’il fut contraint de démissionner, qu’il s’en creva les yeux, et dut se contenter par la suite de vagabonder un peu au hasard, boitant bas, en guenilles et sans papiers, jusqu’à ce qu’il se recycle au prix de sa vie en marabout guérisseur au profit des ennemis de son ancienne cité.
Selon les milieux bien informés, nos nouveaux dirigeants, sans doute bien informés eux-mêmes du sort peu enviable d’Œdipe par de très aware conseillers, se sont enfin débarrassés d’un vieux complexe qui, paraît-il, les occupait beaucoup jusqu’à il y a peu. Voilà qui laisse bien augurer de leur avenir, aussi bien politique que médical.
En effet, que feraient-ils d’un complexe dont il apparaît qu’il est plutôt handicapant à la lumière des préceptes contemporains de bonne gestion et de bonne santé ? Un manager moderne ne saurait souffrir d’être entravé dans son action, serait-ce par quelque chose d’aussi abstrait qu’un complexe. Car le complexé est un velléitaire qui ne saura adhérer pleinement à la culture du résultat, la seule qui vaille par les temps décoincés qui courent. C’est un hésitant, qui tournera sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, un mollasson, qui y regardera à deux fois avant d’agir, bref un ringard qui a oublié de se mettre au diapason de l’époque désinhibée dans laquelle il devrait avoir le bonheur de vivre. En outre, le complexe nuit à la santé. Car le complexé doute. Il se demande s’il agit comme il faut, se soucie trop du regard des autres, et finit par s’en prendre à lui-même au lieu de s’en prendre aux autres, ce qui est la cause de son insomnie et de son eczéma.
Aucun doute n’est donc permis, la France, qui, tel le lapin blanc de Lewis Carroll, doit impérativement rattraper un énigmatique retard, n’a que faire de ces tocards qui par leurs scrupules ralentissent la nation sur le chemin des 3% de croissance.
Mais ici certains s’interrogent peut-être. A qui ou à quoi devions-nous ces fameux et hideux complexes qui empêchaient la vieille France de réussir ? Qui est le responsable de cette tare étrange ? Faut-il lui faire la peau ? Ou, à défaut, le passer en jugement ?
A la réflexion, force est de constater que nos complexes ne sont que l’incongru résidu d’une époque révolue, celle durant laquelle notre héritage grec et judéo-chrétien, en nous rappelant à nos limites, nous soumettait à une humiliation quotidienne. Aujourd’hui que tout est devenu possible, nous aurons sans doute du mal à le comprendre, mais il fut un temps où notre tradition avait le mauvais goût de nous enseigner notre finitude. De fait, l’entrée dans la civilisation judéo-chrétienne fut rendue possible, comme nous l’apprend Pascal qui s’inspire de Saint Chrysostome, par « l’ironie sanglante et sensible » de Dieu qui piqua l’homme vivement lorsque celui-ci, au jardin d’Eden, voulut devenir comme un dieu. Dieu se moqua et l’homme d’après la chute fut.
Mais avec l’avènement du temps des prides, le temps de notre humiliation est heureusement arrivé à son terme. Dieu est mort et, depuis, L’Homme-Dieu met les pieds sur la table. Peu importe que l’humanité décomplexée n’ait aucune manière, qu’elle se montre narcissique et arrogante, qu’elle n’ait aucun souci des formes anciennes qui lui permirent de ne pas s’entre-déchirer, il convient seulement qu’elle soit débarrassée de son humiliant complexe dont la source se trouve dans le rire de Dieu à ses dépens (voir à ce sujet le magnifique avant-propos de l’ouvrage de Philippe Muray, Minimum Respect, Les Belles Lettres, 2003).
Puisque nous sommes résolument et librement entrés dans le post-christianisme, il convient donc que nos dirigeants nous accompagnent dans ce lumineux paradis d’après l’humiliation.
Contrairement à Œdipe, Sarkozy et Fillon se feront une fierté de régner décomplexés, débarrassés de vieux oripeaux nommés scrupules et prudence. Sans hésiter, à la manière simple et sans façons qui est la leur, ils ont abandonné ce vieil attribut du pouvoir et se sont lancés en petites foulées à la poursuite d’un avenir radieux, à jamais sans tache et sans complexe, et qui n’adviendra jamais assez tôt pour eux, ni pour nous.

07/05/2007

La France est une fête


Les plus âgés ou les plus ringards d’entre nous se souviennent peut-être du malaise qui fût le leur lorsqu’au beau milieu des années 1980 un animateur de JT posa en direct une fesse sur le bureau du président de la République et, toisant le chef de l’Etat du haut de son fondement, lui demanda s’il était un « président chébran ». A l’époque les formes de la civilité qui s’imposaient à chacun lorsqu’il avait à faire avec le pouvoir n’étaient pas encore tout à fait considérées comme d’incompréhensibles vestiges du passé. Le geste de Mourousi sembla sacrilège et fut abondamment commenté.
Dans la continuité de cette scène inaugurale, le spectacle que donna dimanche soir Nicolas Sarkozy sur le podium de la place de la Concorde au milieu de ses amis du show-business nous prouve sans ambiguïtés que nous sommes dans une nouvelle ère : dorénavant, le président sera un people comme les autres. Il fallait voir en effet notre nouveau président suant et hilare taper sur l’épaule, serrer contre sa poitrine et embrasser à tour de bras la foule bigarrée qui s’amassait sur le podium, une foule où se côtoyaient sans manière d’innombrables membres de la famille recomposée du nouveau président, de son hétéroclite équipe de campagne, ou du monde du show-biz plus ou moins sur le retour. Il fallait voir le président entonner la marseillaise à l’unisson de Mireille Matthieu, frapper compulsivement (et à contretemps) dans ses mains pour accompagner ses fans et groupies chantant indifféremment en anglais ou en français d’anciens tubes réaménagés pour l’occasion, envoyer, extatique, des baisers à la foule, pour savoir que ce n’était pas, au fond, le vainqueur de l’élection présidentielle que nous avions sous les yeux mais le premier lauréat de la Prez-Ac. Les télés en avaient d’ailleurs pris acte par avance puisqu’elles préféraient aux traditionnels débats en direct encore organisés pour la forme, la retransmission en quasi-intégralité des festivités de ce soir de fête. Paris est une fête écrivait audacieusement Hemingway au temps (historiques) où la fête était un phénomène bornée, limitée dans le temps et dans l’espace. Aujourd’hui ce n’est plus seulement Paris qui est une fête mais la France tout entière. La France présidente était un slogan qui laissait déjà mal augurer de l’avenir des formes politiques de notre pays. Mais ce qui advient est pire encore : la Fête présidente ! Que ce fut la victoire de la fête dimanche soir nul ne peut en douter. La meilleure preuve est qu’en toute logique cette fête fut omniprésente et protéiforme: la fête de Sarkozy à la Concorde, la fête à Sarkozy à la Bastille. En écho à la confuse et joyeuse mêlée de la Concorde, les manifestations violentes et prévisibles de la Bastille se faisaient entendre, mais c’était toujours la fête.
L’invasion du festivisme si bien décrite par avance dans le roman de P. Muray On Ferme en 1997 (Les Belles Lettres) touche aujourd’hui le sommet de l’Etat. Sarkozy ne répond qu’en invoquant fébrilement de grands mots aujourd’hui vides de sens (autorité, respect, mérite) au confusionnisme ambiant. Ses actes au contraire, témoignent qu’il s’y livre tout entier, et bien plus encore que ses prédécesseurs.
Pour symboliser le triomphe du festivisme, il nous fallait un président fasciné par la réussite et la célébrité considérées pour elles-mêmes, qui va fêter sa victoire dans ce temple du mauvais goût et de l’argent facile qu’est le Fouquet’s, qui recherche au soir de sa victoire, plutôt que le contact avec le peuple, la compagnie des people. Qu’est-ce que les people ? Un peuple sans forme, qui ne se transcende pas dans le processus de la représentation, qui ne met pas à distance le pouvoir mais veut à toute force l’incarner. Moi ! Moi ! Moi, d’abord ! Rien ne symbolise mieux l’avènement de l’ère festive des people que l’élection à la présidence de Nicolas Sarkozy, people parmi les people.
La disparition des formes qui s’est manifestée dans cette soirée apocalyptique augure de la disparition de la démocratie et de l’avènement d’une forme inédite d’ochlocratie. Dans sa première intervention après sa victoire Nicolas Sarkozy a invoqué à six reprises le ou les peuples, mais le peuple est aux abonnés absents, seuls les people ont répondu présent.
Mitterrand parfois et Chirac souvent aimaient à descendre de leur piédestal pour se mêler à la foule. Sarkozy, qui n’a jamais su s’en extraire, n’aura pas à le faire.

11/04/2007

Requiem pour la rebelle attitude



Il fut un temps, pas si lointain, où les rebelles étaient beaux. Leurs regards, bleu azur ou noir profond, toisaient sans pitié les petits bourgeois sans envergure que nous étions, nous les enfants d’une Europe pacifique, pacifiste et pacifiée, d’où l’Histoire, avec une grande hache (Perec) s’était retirée. Tributaires de notre âme de midinette, nous engagions sans cesse et sans trop y croire des combats aussi virtuels qu’héroïques contre d’improbables tyrans, à l’ombre de nos téléviseurs et de nos villages-vacances. C’est que, malgré (ou à cause) de notre goût pour les figures tutélaires, nous hésitions un peu à nous identifier à nos héros. Nous savions que Jean Moulin, que le Che Guevara, que James Dean, avaient payé de leur vie leur droit d’accès au panthéon des dieux de la révolte. Une certaine pudeur nous retenait encore au moment d’adopter la pose hiératique qui était celle de nos héros sur les posters qui ornaient les murs de nos chambres à coucher chez papa-maman.
Puis mai 1968, la mère de toutes les batailles post-historiques, a lentement instillé son sirupeux venin dans nos veines vierges de toutes séquelles. C’est ainsi que nos dernières réticences finirent par tomber. Sans vergogne, nous nous prîmes pour ce que nous ne sommes pas : tout juste des individus, seuls contre tous, en lutte héroïque et désespérée contre un système oppressif. Ce fût le règne de la rébellion virtuelle et obligatoire, jusque là heureusement confinée à nos rêveries adolescentes. En 1987 contre la loi Devaquet, en 1995 contre la réforme Juppé, et encore en 2006 contre le CPE, chaque « mouvement social » draina avec lui son lot de rebelles triomphants, dans un oxymore que seule notre époque a su produire. Si ces révoltes ont fait long feu, il n’en va pas de même de ses leaders. Certains d’entre eux sévissent encore, non pas dans la clandestinité, mais sur les plateaux de télévision. C’est ainsi que l’époque couronna le rebelle et que la rébellion en perdant tout contenu concret devint une simple attitude, une pose. Le rebelle-roi est l’avatar de Narcisse qui règne sur l’époque et « rie de voir éternellement rebelle en ce miroir » (Muray). Si le rebelle-roi est « naturellement de gauche », il arrive aussi qu’il soit du centre et même de droite. C‘est que les hommes politiques de tous bords, alléchés par le succès mondain de la rebelle attitude ne se privent plus de l’adopter. Il advient donc aujourd’hui que les candidats au statut de rebelle couronné prolifèrent, ce qui a le don d’irriter les rebelles-rois installés. Ceux-ci en effet supportent mal de se voir imités et concurrencés sur un marché dont ils pensaient avoir le monopole. Tout comme autrefois les aristocrates n’avaient de cesse de tenir à distance les nouveaux riches qui adoptaient leurs manières, le rebelle-roi de gauche dénoncent l’imposture du rebelle-roi de droite.
Mais voilà que dans un ultime retournement, nos rebelles-rois de gauche, peut-être fatigués par leurs propres simagrées, affublent aujourd’hui Bayrou, en guise de nez rouge, d’un béret du Che qu’ils n’avaient pas besoin chercher bien loin puisque leur garde-robe en est pleine.
Il est vrai que Bayrou lui-même a sacrifié plus que nécessaire à l’exercice de la rébellion virtuelle. Mais, puisqu’elle est tellement caractéristique de l’époque, il y a quelque logique à ce que la rebelle attitude vienne s’échouer lamentablement à l’extrême centre du paysage politique. « La dernière phase d’une forme historique, c’est la comédie » écrivait déjà Marx. La preuve donc qu’il arrive à ceux qui se réclament de ce grand penseur de ne pas le trahir, serait-ce malgré eux.
En se gaussant de la paille qui orne l’œil du révolté de l’extrême centre, les rebelles-rois de l’époque nous indiquent la poutre qui défigure le leur.

La vérité éclate enfin : dépossédé de son béret, le rebelle-roi est nu!