"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

11/05/2009

Alors Benoît, ça vient cette bourde ?


« Et moi, ver et non pas homme,
risée des gens, mépris du peuple,
tous ceux qui me voient me bafouent,
leur bouche ricane, ils hochent la tête :
« Qu’il s’en remette à Yahvé, qu’il le délivre !
-------------------------------qu’il le libère puisqu’il l’aime ! (Ps 22) »
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Lettre ouverte et citoyenne à Benoît XVI
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Très Saint-Père, même je sais que vous êtes un peu occupé ces jours-ci, je vous prie d’entendre la prière d’un humble catholique français. Vous l’ignorez peut-être, mais l’heure est grave chez l’ex-fille aînée de l’Eglise. Ces préoccupations vous paraîtront peut-être futiles à l'aune du sort des chrétiens du Proche-Orient, mais il faut que vous le sachiez, le moral des ménages hexagonaux sombre, personne ne rie plus ailleurs que sur Internet ou à la télévision, l’anti-sarkozysme lui-même, cette valeur sûre de la fraternisation citoyenne, paraît s’essouffler. C’est que, voyez-vous, l’hideuse figure du sionisme et l’énigmatique grippe porcine menacent l’unité du pays. Pire encore, dans ce pays furieusement politique qu’est la France, les élections européennes se préparent dans l’indifférence quasi-générale, tandis que la divine divinité du jour, je veux dire la diversité, est bafouée sans vergogne malgré les gigantesques efforts en sa faveur des ligues de vertus contemporaines. Sans même parler du mauvais temps, alors que la mi-mai approche déjà.

Et enfin, last but not least, depuis que vous vous refusez à nous venir en aide, une amère cerise sur l’indigeste gâteau de nos malheurs, c’est-à-dire la disette, guette les bouffeurs de curé.

Car il faut que vous le sachiez, Très Saint-Père, ici, en France, à l’occasion de votre déplacement au Proche-Orient, tout est prêt pour la curée du curé. Les meutes citoyennes ont tellement bâfré pendant l’inoubliable Carême 2009 qu’elles supportent mal l’abstinence que vous leur imposez aujourd’hui à contretemps. Chacun réclame à corps et à cris sa dose de boulettes vaticanes, comme dans les cantines maternelles on exige du rab de nouilles. Les foules hexagonales carburent aujourd’hui à la gaffe papale comme autrefois leurs ancêtres se battaient pour des indulgences. Autres temps, autres mœurs. Jadis la populace européenne attendait de vos prédécesseurs un magistère moral, aujourd’hui elle se hausse du col à vos dépens. C’est comme ça, il faut que vous vous y fassiez, et acceptiez de jouer votre rôle de victime expiatoire. Cela fait de trop longues semaines que vous renâclez. La patrie est en danger, elle a besoin de sa dose de catharsis républicaine. Il serait choquant que vous l’en priviez. Presque un scandale.

Pour tout vous dire, il me semble que c’est chez l’être humain une satisfaction à la fois naturelle et assez dans l’air du temps que celle suscitée par la chute dans la fange numérique des anciens professeurs de vertu. Les railleries et les quolibets à l’encontre de tout ce qui dépasse ne datent pas d’aujourd’hui bien sûr. Mais il arrivait que les textes qui vous sont si chers mettent quelques freins à la fureur persécutrice des foules déchainées. Cependant, ces textes ont été déclarés une bonne fois pour toutes anathèmes par la Très Sainte Inquisition Modernolâtre. A juste titre : ces textes gâtaient vraiment trop notre plaisir lorsque nous nous laissions aller à la bienfaisante fureur du tous contre un. Quoi de plus plaisant en effet que de voir patauger dans les caniveaux du ouèbe celui qui prétend être un guide spirituel pour la néo-humanité? Rien, Très Saint-Père, rien, sachez-le, et acceptez au nom du sacro-saint plaisir de s’éclater en groupe de jouer le nouveau rôle que la vertueuse humanité d’après la morale a prévu pour vous : celui de la brebis galeuse au milieu, ou plutôt à l’écart, du troupeau bêlant sa doxa droit-de-l’hommiste. Celui du cancre qui subit les foudres des petits profs de citoyenneté qui sommeillent au fond de chacun de nous. Vous excitez notre pulsion punitive, Très Saint-Père, vous n'y pouvez rien, c'est comme ça. Rien ne vaut vos "gaffes" lorsqu'il s'agit pour nous d'assouvir notre penchant pour la correction infligée aux puissants, triste penchant que nous appelons vigilance. Des vigiles employés à titre bénévole par l'Espace Bien contemporain, voilà ce que nous sommes. Un fraudeur, un gros délinquant qui hante tel un fantôme cet Espace Bien, fantôme que nous autres vigiles avons depuis longtemps reperé et nous proposons d'expuser sans ménagement de cet espace enchanté à coup de formules magiques et citoyennes, voilà ce que vous êtes.

La néo-humanité, je ne vous l’apprends pas, Très Saint-Père, ne doute de rien, n’a honte de rien, et fait ce qu’elle veut avec son nœud. Si ça la branche de considérer que de le recouvrir d’un morceau de caoutchouc est le nec plus ultra de la morale citoyenne et même alter-citoyenne, personne n’a rien à dire. Personne. Et surtout pas vous.
Ou plutôt si, il faut que vous parliez ! On vous guette ! Vous n’avez pas intérêt de nous décevoir !

Sur Rue 89 (cela ne vous dit sans doute rien, mais il s’agit du repaire des ex-gauchistes de Libération, un journal français sans lecteurs, reconvertis dans la bonne conscience cauteleuse et citoyenne), on récapitule toutes vos bourdes depuis votre arrivée à la tête de l’Eglise, et on appelle ça dans une novlangue hilarante « un timeline des controverses (1) provoquées par Benoit XVI ». En attendant, on est un peu déçu par vos discours prudents sur l’islam et le judaïsme depuis le début de votre déplacement au Proche-Orient. On attendait mieux de la part d’un homme qui avait su si bien embraser les impeccables foules citoyennes partout dans le monde, ou presque.

Sur Le Post, le site trash garanti 100% sans réflexion créé par Le Monde, journal que l’on qualifiait autrefois chez nous de journal de référence, et dont le « christianisme social » originel n’est sans doute plus qu’un vague souvenir honteux chez les plus anciens des rédacteurs de cet organe officiel de la propagande modernophile, on récapitule aussi, et on fait de la surenchère dans l’ordure anti-benoît XVI. Dans le noble souci sans doute de mobiliser le plus de crétins possibles (ce sont des consommateurs comme les autres après tout, Le Post dit vigoureusement non à la discrimination par l’intelligence), la rédaction se lâche avec un montage, digne là encore d’une école maternelle, qui vous affuble, j’ai presque honte de vous le signaler, d’une capote sur la tête. Même si vous êtes habitué à porter le chapeau de notre incommensurable bêtise, vous conviendrez sans doute que les écrivaillons numériques qui postent sagement où on leur dit de faire, font sans doute preuve ici d’une grande originalité, et que ce pitoyable gribouillage numérique mérite certainement que l’on précise, sans crainte du ridicule, que les droits en sont réservés (DR). J’aimerais être sûr que personne ne leur disputera ces misérables droits, même je suis au contraire à peu près certain (sans avoir eu pourtant le courage de le demander à Google) qu’une cinquantaine d’oligophrènes a déjà eu cette idée avant Le Post lui-même, et l’aura encore après lui. On se délecte aussi sur ce Post décidemment diarrhéique de la montagne de difficultés qui vous attend à Jérusalem, et on ne doute pas que vous saurez donner du grain à moudre à cette machine à broyer du vide qu’est Internet.

Pourquoi tant de hargne et de ricanements, vous demandez-vous peut-être, lorsque vous êtes confronté à la bêtise effrénée qui sévit si fort aujourd’hui à vos dépens dans cet « Hexagone » qui est le nouveau nom que s’est piteusement donnée la France ? Sans doute la néo-humanité du coin, si fière d’elle-même, et si honteuse d’avoir été un jour française et catholique supporte mal de se voir renvoyer crûment et simultanément à sa propre vacuité et à son riche passé lorsqu’elle tombe par erreur sur votre prose si dense et si riche. Insupportable humiliation. Pour ce seul crime, vous méritez sans doute, Très Saint-Père, de parcourir jusqu’à son terme le chemin de croix que le peuple citoyen a tracé pour vous.

(1) Dans la novlangue contemporaine, le lynchage médiatique s’appelle controverse. Autrefois, une controverse consistait en une discussion suivie dans laquelle des opinions diverses s’affrontaient et se confrontaient dans l’espoir que de cet affrontement et de cette confrontation jaillisse un peu de vérité. Aujourd’hui la controverse vise seulement à s’assurer que l’on a raison de penser ce qu’on pense, tous ensemble et bien au chaud.