"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

03/01/2008

Confondante confusion


A l’issue du magnifique discours de Nicolas Sarkozy au palais du Latran, François Hollande, le chef de la gauche, a ressorti des poussiéreux placards laïcards la vieille artillerie lourde: «confusion du politique et du religieux». Un contresens parfait.

La messe est dite. Lorsque Nicolas Sarkozy, en visite officielle au Vatican, prend possession de son titre de "chanoine d'honneur" de la basilisique Saint-Jean de Latran, et prononce à cette occasion un discours qui ne nie pas l'évidence des racines chrétiennes de la France, les commentateurs se déchainent. La république est en danger, la laïcité bafouée, la réaction cléricale en marche. Mais a-t-on seulement pris la peine de s'intéresser à ce qu'a dit le président? Sommes nous vraiment, avec ce discours dans la perspective d'un retour de la république française dans le giron de l'Eglise? Est-ce vraiment le danger qui nous guette? Sérieusement?
Pour changer, intéressons nous plutôt à ce qu'a effectivement dit le président Sarkozy, plutôt que de chercher à faire marcher notre petite machine républicaine à fantasmes.

Que nous dit en effet Nicolas Sarkozy à propos des sphères respectives du religieux et du politique ? « Une morale dépourvue de liens avec la transcendance est davantage exposée aux contingences historiques et finalement à la facilité. Comme l’écrivait Joseph Ratzinger dans son ouvrage sur l’Europe, "le principe qui a cours maintenant est que la capacité de l’homme soit la mesure de son action. Ce que l’on sait faire, on peut également le faire". A terme, le danger est que le critère de l’éthique ne soit plus d’essayer de faire ce que l’on doit faire, mais de faire ce que l’on peut faire. »
Ce que décrit ici Nicolas Sarkozy (à l’aide de Benoît XVI) est un monde où les sphères religieuse (spirituelle et morale) et politique sont confondues. Lorsqu’il n’existe plus de référence à une morale extérieure à la sphère politique, lorsque le politique et le religieux sont confondus donc, l’époque impose ses valeurs avec une force si écrasante que rien, aucun contre-pouvoir ne peut s’opposer à elle. Et c’est le règne des « religions politiques » que certains des plus grands penseurs du XXe siècle ont su dénoncer. Sans transcendance, sans référence à un au-delà qui serait susceptible de s’imposer à nous, comment et au nom de quoi s’opposer à l’évidence démocratique selon laquelle ce que veut la majorité c’est le bien tout le bien et rien que le bien ? Ce qui est en jeu ici est le nihilisme d’une civilisation technicienne et tautologique qui n’a d’autre horizon qu’elle-même et ne conçoit le monde qu’en termes de « problèmes » auxquelles il suffirait de trouver des « solutions », à quelque prix que ce soit, pour parvenir au bonheur. Dans une telle perspective, qui est celle de l’économie (et du président français d’ailleurs lorsqu’il oublie les magnifiques discours qu’il prononce à l’occasion et comme malgré lui, c’est-à-dire tous les jours sauf le dimanche, peut-être) la morale n’a pas sa place. Seule une éthique forte, qui trouve ses racines dans le ciel, peut contrecarrer la toute-puissance du politique qui dispose aujourd’hui pour se déployer des ressources infinies de la technique.
Dans ce que décrit ici le président français, la transcendance est donc conçue comme un contre-pouvoir face au pouvoir politique qui en démocratie au moins incarne et met en action les valeurs de l’époque. Ce que loue Sarkozy c’est une borne mise à son propre pouvoir, une limitation de l’hybris politique dont il est pourtant le meilleur représentant.
Il y a d’ailleurs pour ceux qui savent écouter quelque ironie à entendre l’homme politique le plus converti aux valeurs de l’époque (volontarisme, économisme, progressisme) se faire le défenseur d’une morale intemporelle qui viendrait mettre des bornes à son propre pouvoir. C’est à croire qu’un malicieux rédacteur s’amuse à mettre dans la bouche du président des paroles qui contredisent parfaitement et presque point par point sa propre action.