"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

30/01/2009

Une fessée pour l’ONU, une claque pour le Conseil de l’Europe




Interdire la fessée, est-ce abolir le Mal ?


Le Conseil de l’Europe, vénérable institution créée au lendemain de la seconde guerre mondiale dans le but, on ne peut plus louable, de favoriser la réconciliation des pays européens grâce à la définition et la mise en œuvre de normes dans le domaine des droits de l’homme, est aujourd’hui en pointe dans le processus accéléré de liquidation des dernières institutions susceptibles de freiner encore la disparition complète de toute forme d’autorité légitime sur cette planète. Ainsi le Conseil de l’Europe travaille à ruiner le peu d’emprise que possèdent encore les parents des pays développés sur leurs enfants en délégitimant toute forme de violence physique qui pourrait être exercée dans un cadre familial. Il s’agit ici de la continuation d’un processus de long terme, visant à prendre acte, tout en l’accélérant, de la disparition progressive des médiations entre l’enfant et le monde. La cellule familiale, nécessairement oppressive, ringarde et arbitraire, est désinvestie de toute forme d’autorité légitime à l’égard des enfants au profit d’un droit abstrait -dans le cadre duquel les enfants se trouvent dans une égalité parfaite avec les adultes- octroyé par la loi et garanti par l’action d’énormes machines collectives appelées administrations ou organisations internationales. Dans cette perspective pourtant peu réjouissante, le Conseil de l’Europe vient de recevoir un soutien de poids, celui de l’ONU, pour une démarche aussi vertueuse qu’ambitieuse : obtenir le plus tôt possible l’interdiction complète, dans tous les pays de la planète, des châtiments corporels à l’encontre des enfants.

"Construire l'Europe pour et avec les Enfants"

C’est ainsi que les parents qui aujourd’hui encore estiment devoir avoir recours aux plus légers des châtiments corporels à l’encontre de leur progéniture, telles la claque ou la fessée, se verront considérés comme des criminels, au même titre que les pédophiles ou les esclavagistes. En effet, à en croire « La stratégie 2009-2011 » dudit Conseil, stratégie fièrement intitulée « Construire l’Europe pour et avec les Enfants », « le Conseil de l'Europe devra en particulier (…) poursuivre la campagne contre le châtiment corporel (…) et lutter contre toute autre forme particulière de violence comme l’exploitation sexuelle et les abus sexuels, la traite des enfants ».
La fessée ou la claque infligées à un enfant par ses parents ne seraient donc au fond guère différentes, dans leur nature, des abus sexuels et de la traite des enfants. Cette approche globale en ce qu’elle est incapable de discriminer des phénomènes qui, pour les premiers visent (à tort ou à raison) à éduquer, et pour les seconds à exploiter pour son plaisir et à tirer profit sans limites d’aucune sorte d’êtres sans défense, me semble relever du pire de ce que la doxa iréniste contemporaine est capable de produire. Il ne s’agit pas ici de justifier la claque ou la fessée (quoique, pour ce qui concerne les auteurs de ce rapport et de ceux qui ont définis ces objectifs, et comme l’indique le titre de cet article, je serais moins catégorique), mais simplement de remarquer qu’en mélangeant ainsi des phénomènes d’ordre différents, je serais même tenté de dire opposés, on ne fait que révéler l’ineptie et le désarroi conceptuel dans lequel se trouve aujourd’hui le monde moderne.

La société, source du Mal et souverain Bien


Comment comprendre un tel confusionnisme ? S’agit-il seulement d’un avatar extrême de l’allergie à la violence institutionnelle des sociétés contemporaines ? Puisque la violence physique sur un adulte est considérée comme une agression insupportable, pourquoi en irait-il différemment pour les enfants ? Cette simple question a une force indéniable dans une époque tout entière convertie à la vertu indiscutable de l’égalité des droits.

Il y a peut-être pourtant dans cette approche une idéologie sous-jacente plus construite qui mérite d’être analysée. Selon un tenant de cette interdiction, Olivier Maurel, cité par le Figaro, la violence de nos sociétés trouverait son origine dans «le dressage violent infligé depuis des millénaires à la majorité des êtres humains au moment où leur cerveau est en formation». Abolir la fessée, ce serait donc abolir la violence de nos sociétés. On comprend que l’enjeu soit de taille, et on comprend aussi que l’on puisse ainsi amalgamer un geste éducatif ancestral et traditionnel et des comportements faisant au contraire l’objet d’interdits tout aussi traditionnels et ancestraux (le viol, l’inceste ou l’esclavage des enfants). Il y a ici à l’œuvre l’idée moderne, essentiellement rousseauiste, selon laquelle « la société » est tout à la fois la puissance responsable de l’intégralité du mal qui se produit dans le monde, et la puissance qui pourrait permettre de réparer ce mal, voire de le faire disparaître. Evidemment, un chrétien sait que le mal traverse le cœur de chaque homme, et qu’aucun projet d’éradication du mal ne saurait prévaloir sur l’humanité de l’homme, à moins de vouloir sa disparition. Mais qui entend les chrétiens aujourd’hui ?



Les projets d’éradication du mal de la société humaine ont été appliqués au cours du XXe siècle sous deux formes extrêmes et terrifiantes (l’extermination du mal « racial » avec le projet d’élimination des Juifs de la surface de la terre, et l’extermination du mal «économique » avec le projet d’élimination des « exploiteurs »), dans les deux cas ces projets se sont avérés mortifères. Aujourd’hui l’expansion infinie de la sphère des droits est une continuation de ce projet, sous une forme douce, technocratique et victimaire incarnée par l’ONU et le Conseil de l’Europe. Cette forme est certes moins terrifiante et totalitaire que celles qui l’ont précédée mais elle obéit à la même logique délirante. Il est possible, grâce à une politique volontariste, de purger entièrement la société humaine du mal qui l’habite.

Elle dispose en outre certainement d’une rhétorique moins exaltée que le nazisme ou le communisme. Mais elle s’appuie sur l’omniprésente technocratie contemporaine qui en prenant acte de la moindre prégnance des us et coutumes dans nos sociétés modernes (c'est-à-dire des interdits intériorisées par les peuples) les remplacent par un arsenal juridique répressif qui n’a rien à envier, dans ses ambitions, sinon dans ses méthodes, aux totalitarismes qui l’ont précédés. Par ailleurs, ce juridisme, en ce qu’il se prétend d’avant-garde, se moque pas mal du consentement des populations auxquelles il prétend imposer ses lois. C’est ainsi qu’en France, pays dans lequel les châtiments corporels sur les enfants sont encore tolérés, c’est près de 90% de la population qui s’opposerait à une telle législation.
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Une méthode de travail novatrice pour éradiquer la violence

Certaines mauvaises langues suggèreront peut-être qu’il n’est guère étonnant que ce soit des pays dont le taux de natalité est ridiculement bas, telle la Suède, qui soient en première ligne de la criminalisation de ces comportements ancestraux. N’ayant plus guère d’enfants à corriger, la Suède peut se payer le luxe d’un combat d’avant-garde avantageux dont elle n’aura guère à subir les conséquences pour elle-même. Ce serait prendre les choses par le petit bout de lorgnette. Car ce combat est aujourd’hui relayé, comme je l’ai indiqué plus haut, par l’ONU elle-même qui, comme le note le Figaro, veut faire de 2009 la date butoir pour l’abolition de la fessée dans tous les pays du monde. L’objectif paraît ambitieux, pour ne pas dire irréaliste. Il faudra y mettre les moyens. Examinons donc de plus près la « méthode de travail » de première efficacité sans doute que compte employer nos chères institutions, en l’occurrence le Conseil de l’Europe, pour parvenir à leurs fins. Je cite.

« L'approche intégrée, les travaux transversaux, la coordination, la coopération et la communication devraient demeurer caractéristiques des méthodes de travail. Il conviendra, dans le cadre du programme, de continuer d'utiliser les ressources existantes de la manière la plus efficace possible, d’établir les liens nécessaires entre les activités et les acteurs internes, de se servir de tous les instruments disponibles pour traiter de problèmes particuliers et d’établir des partenariats stratégiques avec des partenaires extérieurs.
Si l'essentiel des activités sera mené par l'intermédiaire des organes et acteurs compétents du Conseil de l'Europe (comités directeurs, groupes d'experts, organes de contrôle, commissions, etc.), le caractère transversal de certains thèmes pourrait appeler la création de groupes spécifiques d'experts ou de groupes consultatifs ponctuels dont le mandat devrait être clairement défini et limité dans le temps.
Au niveau du programme, la coopération interne et externe sera assurée par une plateforme permanente permettant une planification stratégique, la mise en œuvre et l'évaluation du programme.
Cette plateforme comprendra :
- l'unité de coordination au sein du Secrétariat du Conseil de l'Europe ; - la task force intersectorielle du Conseil de l'Europe ; - le coordinateur thématique du Comité des Ministres ; - un site web de référence donnant accès à toutes les informations et ressources utiles concernant les enfants produites par le Conseil de l'Europe ; - une plateforme électronique sur les droits des enfants comprenant un réseau de contacts dans les administrations, des représentants des organes du Conseil de l'Europe, des représentants de la société civile, des médiateurs, des organisations internationales et des enfants. »

C’était un peu long, je sais, mais avouez, si vous êtes encore avec moi, que ça valait le coup d’aller jusqu’au bout. Vous êtes maintenant prévenus, « La task force intersectorielle du Conseil de L’Europe » va donc s’attaquer à la fessée. Tremblez parents indignes, repentez-vous géniteurs cruels, le coordinateur thématique du Conseil des Ministres vous a à l’œil.

L’irrésistible appel aux larmes

Bon, certains cyniques, jamais avare de citations sulfureuses, susurreront peut-être à l’oreille du paternel terrifié : «une plateforme électronique sur les droits des enfants même dotée d’un « réseau de contacts dans les administrations », combien de divisions ? ». Pourtant, ce serait une grave erreur de sous-estimer la puissance de feu conjuguée du Conseil de l’Europe et de l’ONU, monstrueuses officines de propagande de la doxa droits-de-l’enfantistes qui triomphe aujourd’hui. Elles disposent encore, pour leurs projets mortifères, et grâce à la mobilisation du cœur, à l’appel aux larmes et au bon usage de mots de d’ordre irréfragables (« sauvez les enfants », « égalité des droits ») de toute la force spirituelle dont est encore habitée le monde moderne.

Fl. Piffard

PS : j’embrasse tendrement au passage mes petits trésors, qui depuis bien longtemps maintenant n’ont plus reçu ni claque ni fessée de leur papa-blogueur. Et ce malgré l’irritation qui s’empare parfois du papa-blogueur à la lecture de certains commentaires laissés sous ses articles, irritation qu’il n’a malheureusement pas le loisir de calmer sur leurs auteurs, en conséquence de quoi le papa-blogueur pourrait être tenté de prendre sa progéniture pour bouc émissaire. Mais non. Promis, juré, j’ai rien fait de mal. Je suis innocent comme l’agneau qui vient de naitre. Puisqu’il s’agit de donner la parole aux enfants (« Construire l’Europe pour et avec les Enfants »), et si tant est qu’on me demande encore mon avis, je suis près à les faire témoigner.