"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

03/06/2008

Rami Al Jamarat sur France 2



Lorsque les islamophiles passent à l’acte.


Un croyant comme moi devrait se réjouir. Alors que les émissions religieuses audiovisuelles sont habituellement confinées à des tranches horaires confidentielles, fréquentées presque exclusivement par les plus de 60 ans ou les dépressifs, il fut possible, un samedi soir récent, d’assister sur une grande chaîne d’Etat française et à une heure inhabituelle, lors d’une émission branchouille à souhait, à un long rituel religieux en bonne et due forme, auquel des personnalités médiatiques de plus ou moins premier plan participèrent avec enthousiasme.
Bon, en bonne et due forme, j’exagère peut-être. Disons plus précisément qu’il s’agissait d’une version sécularisée, profane, mais aussi dépoussiérée, festive, jeune (décomplexée et moderne, quoi !), du rituel islamique appelé Rami Al Jamarat, ou la lapidation du diable. Avec, dans le rôle du grand prêtre, ordonnateur de la cérémonie, j’ai nommé Laurent Ruquier. Dans le rôle du sacrificateur, du jeteur de première pierre, j’ai nommé Eric Naulleau. Dans le rôle des « amis » de Job, prodiguant bons conseils à la victime tout en s’assurant qu’elle ne sorte pas la tête de l’eau ni de leur ligne de mire, les seconds couteaux Pascale Clark, Métayer et Bohringer (pardonnez, j’ai oublié les prénoms). Ah c’était du grand art ! Un happening parisiano-oriental comme on n’en voit que trop rarement ! Il fallait voir la vénéneuse Clark, pourtant spécialiste dans ses écrits de l’émotion factice, du pathos surjoué, s’adresser du bout des lèvres, méprisante et glaciale, à sa victime pour lui signifier qu’elle, la victime, ne devait d’être là qu’à son goût du scandale, qu’elle ne participait à ce délicat rituel qu’à la condition d’y jouer le mauvais rôle, celui de la victime expiatoire, coupable d’avoir usé de moyens peu honnêtes pour parvenir à l’exposition médiatique de sa personne. Si ce n’était pas insulter Proust que de comparer un de ses personnages à cette méchante pimbêche je comparerais volontiers cette Clark à claques à la grosse Verdurin lynchant le pauvre Saniette. Autant de délicatesse, autant de volonté de s’attaquer au plus faible tout en se donnant le beau rôle.
Seul Eric Zemmour semblait s’être égaré parmi ces fougueux fidèles de cet étrange culte islamo-médiatique en refusant bizarrement, au nom d’une sacrilège liberté de critiquer les religions, et même (quelle horreur !) de se déclarer islamophobe (1) de se joindre à la foule des jeteurs de pierres. Sans doute en jouant le rôle d’un inefficace avocat qu’on aurait commis ici d’office, permettait-il aux lyncheurs de se lâcher en toute bonne conscience. Sans doute aussi cet obsolète avocat était-il un écho involontaire et lointain du Paraclet, l’esprit de Dieu qui prend la défense des faibles et qui avait encore cours lorsque cette étrange superstition qu’est le christianisme n’était pas tout à fait oublié sous nos latitudes.
A mais j’oubliais ! Qui jouait dans cette joyeuse cérémonie, dans ce Happy Slapping de grands garçons, si caractéristique de notre XXIe siècle, le rôle assez peu enviable de Shaytan, le nom arabe du diable que tout bon musulman se doit de lapider avec ferveur lorsqu’il se rend en pèlerinage à La Mecque? Dans la version franchouillarde du rituel, auquel on pourrait donner le nom bien connu de lynchage médiatique, le rôle du pauvre diable était joué ici par Robert Redeker qui croyait (le naïf) avoir été invité à l’émission de Laurent Ruquier pour parler de son ouvrage qui sort ces jours-ci, intitulé Le Sport est-il inhumain ? Il ne savait pas l’innocent (enfin, façon de parler) qu’il avait été convié à un rituel sacrificiel vieux comme le monde dans lequel il jouerait le rôle à la fois central et peu enviable de victime expiatoire. Un diable idéal, on en conviendra aisément. Celui qui a osé se livrer à une comparaison scandaleuse du bellicisme de Mahomet et du message d’amour du Christ à la suite de Benoît XVI mérite bien de jouer le rôle de victime sacrificielle dans une cérémonie syncrétique d’un nouveau genre, même si, d’une certaine façon, cette cérémonie apportait de l’eau à son irréligieux moulin.

(1) On devrait pouvoir faire admettre aux Français qui ont rejeté leur religion dans les ténèbres extérieures de la croyance privée qu’il est possible sans être considéré comme un raciste de critiquer une religion. Une religion, l’islam ou le christianisme, est (notamment) une idéologie et à ce titre mérite d’être critiquée et discutée. Il ne peut s’agir lorsque l’on fait cela de jeter dans un même mouvement l’opprobre sur un peuple quelconque. Il est possible de critiquer très durement le christianisme sans se faire traiter de raciste. Il devrait être possible de faire la même chose avec l’islam.