Notre mépris pour la nature s’exprime jusque dans notre rhétorique ridicule lorsque nous déclarons vouloir la sauver. Peut-être faudrait-il commencer par la regarder.
L’humanité est obsédée par elle-même et par le jeu social dans lequel elle se perd. Inattention au monde. L’écran d’ordinateur, de la télé, du téléphone, des consoles de jeux, est le mur fascinant posé entre nous et ce monde délaissé. Excroissance monstrueuse des villes, il faut que chacun soit là où ça se passe. Ça bouge fébrilement dans les chaumières. On s’informe. Au cœur du foyer, un filet de voix perpétuel, les informations, la musique, nous rappellent sans arrêt la présence de l’Eden ou de l’enfer humain, des Autres fascinants. Il faut en être sans tarder. Dur désir de socialiser. Ivresse de la fusion du moi et de la société. Totalité obsédante dont nous sommes par le double lien de l’amour et de la haine. Délaissement de la campagne. Retour à un état de sauvagerie d’avant l’humanité des champs et des forêts. Friches. La mauvaise herbe qui bouffe tout. L’écrivain d’autrefois, lorsqu’il levait la tête de ses écrits avait face à lui une fenêtre, des objets, un bouquet de fleurs auxquels, presque mécaniquement, il était amené à prêter une certaine attention. Dans la même situation, le graphomane d’aujourd’hui se confronte, sur un écran qui lui cache le monde, à sa propre prose. Morne bouclage narcissique.
Hier, M. me décrivait le désintérêt pour le spectacle qui leur était offert que manifestaient les familles, invitées au cirque par leur employeur à l’approche de Noël. Quelques applaudissements à peine polis. Les gosses qui ne tiennent pas en place et font le show à la place du show. Les grosses bêtes dressées, ce spectacle étrange d’une irréductible altérité que l’on s’efforce de domestiquer ou de nous rendre un peu familière, ne nous intéressent plus. Nous voulons de l’interactif, nous refusons d’être réduits au rang de purs spectateurs, il nous faut bouger, participer, nous reconnaître dans ce qui s’offre à notre vue. L’extériorité, la présence mystérieuse des animaux et des plantes nous indiffèrent.
Pourtant quelque chose en nous résiste parfois à cet emballement du désir. A cette tyrannie de la fascination de l’humanité par elle-même. Goût soudain de la lenteur, du jardinage. Animaux domestiques dont l’étrangeté nous submerge parfois, dans la tranquillité du soir, toutes machines éteintes. Dans ses mouvements lents, dans son regard tranquille et confiant, l’animal nous rappelle à une vie paisible qui était la nôtre lorsqu’elle n’était pas troublée par les chants, aussi mélodieux ou hideux soient-ils, de nos sirènes numériques.
« Les deux branches de laurier-rose que j’avais posées sur mon bureau hier à seule fin de les décrire sont déjà desséchées et réduites à la taille d’insectes écrasés. Pétales, pistils et anthères, qui n’étaient pratiquement que de l’eau, sont retournés à l’état de vapeur (John Updike, Aux Confins du temps, p.207). »