"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

08/04/2009

La position de la missionnaire


Quand Ségolène bat sa coulpe sur la poitrine de Nicolas, il faut que l’Afrique jouisse.
Dans des temps obscurs pas si lointains mais qui seront bientôt heureusement parfaitement révolus, nos Pères blancs allaient en Afrique donner des leçons aux Africains. Aujourd’hui que la lumière des temps nouveaux brille sur le monde, c’est Ségolène Royal, notre blanche Mère du Poitou, qui va en prendre à Dakar. Le contraste est saisissant. On reste dans le catéchisme, bien sûr, mais ce n’est plus du tout la même religion. Certes, comme les Pères blancs d’antan, la blanche Mère du Poitou est une missionnaire, mais sa position est très différente, et autrement efficace pour donner du plaisir aux Africains. C’est bruyamment repentante, ostentatoirement humble que notre blanche Mère atterrit sur le continent noir qui lui tend les bras. D’autant plus humble et repentante d’ailleurs que c’est des crimes d’autrui qu’elle vient s’accuser. Car Ségolène demande pardon, pardon, pardon, à l’Afrique, mais elle, bien sûr, plus blanche que la plus blanche colombe, n’a personnellement rien fait à personne. De quoi s’excuserait-elle d’ailleurs? La vieille culpabilité judéo-chrétienne, on en a soupé. Les coupables, c’est bien connu, ce sont les autres. La Vestale Ségolène quant à elle, se contente de tenter de réparer les dégâts, sans mettre les mains dans le cambouis, c’est trop salissant.

Car c’est par la seule grâce de la virginale blancheur de sa conscience immaculée que notre blanche Mère du Poitou peut le faire. Yes, she can. Nous croyons en sa bonne étoile et aux vertus thérapeutiques des mots, de ses mots lumineux à elle, qui éclipseront à jamais d’autres mots offensants. Les blessures de l’Histoire, sa parole inspirée les refermera. Quelle grâce magnifiquement discrète, quelle flamboyante humilité ! A mille lieux de vouloir utiliser l’Afrique à de viles fins de politique intérieure, notre blanche Mère est venue du Poitou annoncer sur sa terre natale la bonne nouvelle de la fin de l’Histoire avec une grande hache! Que dis-je, la bonne nouvelle, les bonnes nouvelles ! Car l’autre bonne nouvelle, c’est que la bonne nouvelle, c’est elle ! « Le temps de la réconciliation », et le temps de Ségolène sont arrivés de conserve ! Les multiples et obscurs conflits qui meurtrissent encore aujourd’hui l’Afrique, ce sont des points de détails ridicules à l’aune de ce nouvel évangile ! Ségolène a déclaré unilatéralement la fin des hostilités, et le monde ferait bien de s’y conformer. Ce n’est pas parce que notre passé est peuplé de crimes atroces et que notre présent est bien troublé que notre avenir ne sera pas lumineux, ségolénien et ségoléniste. Nul besoin d’attendre le retour hypothétique d’un hypothétique messie dans un avenir qu’on ne maitrise pas. Non ! L’avenir si désirable, c’est notre blanche Mère elle-même qui l’incarne en même temps que l’Afrique. Pour parvenir à ses nobles fins, Ségolène, prête à tous les sacrifices, ne reculera devant aucune flatterie en Afrique. L’Afrique qui a tant appris au monde. La rationalité grecque, les droits de l’homme et du citoyen, la vérité scientifique (1), excusez du peu, c’est elle avant tout le monde et c’est aussi Ségolène plus que tout le monde, qui opportunément née sur ce continent, a su s’imprégner de cette terre d’élection, et s’est ainsi trouvée intimement investi d’une divine mission. Obtenir l’absolution de l’Afrique pour tous les crimes commis par l’Europe depuis la nuit des temps mérite bien que l’on revisite l’Histoire à son aise. Pardon, pardon, pardon encore pour l’Europe, la vile Europe, l’obscur et maléfique Europe, et merci, merci, merci encore à l’Afrique, la lumineuse Afrique du soleil et des droits de l’homme.

Et l’homme blanc dans tout ça ? L’homme blanc, qui n’a évidemment rien à voir avec notre blanche Mère, est un esclavagiste, un colonisateur, un exploiteur qui prétend encore aujourd’hui donner des leçons au fier peuple noir auquel il doit tout. L’homme blanc est un méchant, et ce n’est pas parce qu’il a gagné l’élection présidentielle qu’il a le droit de parler au nom de la France. La vraie France, la France repentante, la France qui déteste son passé, bref, la France d’aujourd’hui, et surtout la France de demain, c’est notre blanche Mère qui l’incarne.

Le père blanc et l’homme blanc iront quant à eux moisir tranquillement dans les poubelles de l’Histoire jusqu’à ce que mort ou rédemption s’ensuive.

(1) Certains obscurs et poussiéreux chercheurs, qui le nez dans leurs livres resteront à jamais imperméables aux exigences cathartiques de la modernité en marche trouveront approximatives et peut-être même comiques certaines références historiques de notre bonne Mère à tous. Ils estimeront par exemple que la Charte du Mandé, parce qu’elle nous est parvenue du fin fond des siècles par voie orale n’est guère recevable sous la forme droit-de-l’hommiste que lui donne Ségolène dans son lumineux discours. Certains très mauvais esprits trouveront même qu’il y a une forme de résurgence spirituelle du colonialisme à plaquer sur l’Afrique d’il y a huit siècles des catégories telles que les droits de l’homme qui sont nés dans un contexte bien précis en Occident il y a moins de trois cents ans. A ces mauvais coucheurs, que de toute façon personne n’écoute, nous prescrivons trois Mater Noster, et deux Ave Segolena, et qu’on n’en parle plus.