"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

24/03/2009

Les bases scientifiques de la déclaration de Benoît XVI sur le préservatif



La cause est entendue, nous sommes tous d’accord, de la gauche à la droite, de la France d’en bas à la France des médias, de la France athée à la France encore catho mais qui veut faire des progrès, même le pusillanime ministère des Affaires étrangères s’y est mis comme tout le monde, le pape est un obscurantiste, il est le vecteur et le porte-parole d’une idéologie mortifère. C’est un criminel, l’ennemi principal et définitif de l’humanité. Les morts du sida pèseront sur sa conscience et viendront éternellement le hanter dans son sommeil éternel qui ne saurait tarder, espérons-le. Le souverain pontife est déclaré anathème devant le grand tribunal des droits humains, il n’aura pas le loisir de faire appel. Tous, nous pouvons nous lâcher sur le dos de ce réac cacochyme, et sans capote encore. Pour lui, et pour lui seulement, ce n’est pas la peine de sortir couvert. On doit avancer à découvert au contraire, sans grand risque pour sa santé ni sa réputation. Taper sur le pape est devenu un droit humain comme les autres, et même un devoir, un impératif de l’homme moderne, comme de faire la vaisselle et de torcher les mômes.

On n’avait pas vu une telle unanimité, une telle communion fraternelle de la France entière à la délicieuse occasion de ce culte aujourd’hui rendu aux très grandes vertus d’un petit bout de plastique -culte qui, comme tout culte, a besoin de la figure hideuse du démon pour unir ses adeptes- depuis au moins Valmy ou peut-être, soyons positif, depuis la France Black, Blanc, Beur de 1998, quand on était les champions. Car les champions, nous le sommes à nouveau aujourd’hui, par la disgrâce de l’horrible vieillard, même si ce n’est plus de football qu’il est question, mais d’indignation citoyenne et de défense de la vertu caoutchouteuse et outragée. Enfin un sport dans lequel nous ne craignons personne, dopés que nous sommes tous à la moraline. Répétez après moi : le préservatif, c’est la vie ! Le pape, c’est la mort ! On voudrait presque que le pape remette le couvert, si j’ose dire et si c’est possible à son âge, pour que ce beau moment de communion fraternelle dure encore un peu, que la jouissance extatique et collective qui s’exprime à la faveur de ces déclarations ne s’éteignent pas trop vite, qu’on ait le temps d’édifier un culte pérenne au petit dieu capote qui nous plaît tant. Rasons Notre-Dame, ce monument obsolète élevé à la gloire d’une idéologie de mort, et érigeons à sa place, comme ce sera drôle, une belle installation plastique digne du meilleur de l’Art Contemporain, qui prendra la forme de notre petit dieu la capote, déroulée et gonflée bien sûr, que l’on pourra ainsi emplir à loisir d’une virile vigueur rendue inoffensive par l’objet de son culte. Ce con-dôme, ah,ah,ah, qu’il soit d’une hauteur de 69 mètres, puisque c’est aussi celle des tours de la ringardissime cathédrale actuelle, ça ne s’invente pas , et aussi transparent que notre belle époque veut l’être. Un bel ouvrage vertical dressé vers le ciel vide en forme de défi, un fier monument à la gloire de notre sacro-sainte libido. Ca changera des églises mornes et vides !

Ce n’est pas pour casser l'ambiance , mais en attendant ce jour béni, est-il possible d'entendre ceux qui défendent le pape, s’il en reste ? Chacun a le cœur à la fête et personne ne veut envisager que le pape pourrait avoir de solides arguments pour avancer ce qu’il avance. Pourtant les faits sont têtus.

Laissons donc là le lyrisme œcuménique et la ferveur néo-religieuse, et reprenons précisément les propos du Pape, et la question à laquelle il répondait.

Question. Votre Sainteté, parmi les nombreux maux qui affligent l'Afrique, il y a également en particulier celui de la diffusion du sida. La position de l'Eglise catholique sur la façon de lutter contre celui-ci est souvent considérée comme n'étant pas réaliste et efficace. Affronterez-vous ce thème au cours du voyage?

R. –Je dirais le contraire: je pense que la réalité la plus efficace, la plus présente sur le front de la lutte conte le sida est précisément l'Eglise catholique, avec ses mouvements, avec ses différentes réalités. Je pense à la Communauté de Sant'Egidio qui accomplit tant, de manière visible et aussi invisible, pour la lutte contre le sida, aux Camilliens, et tant d’autres, à toutes les sœurs qui sont au service des malades. Je dirais qu'on ne peut pas surmonter ce problème du sida uniquement avec de l’argent, pourtant nécessaire. Si on n'y met pas l'âme, si les Africains n'aident pas [en engageant leur responsabilité personnelle], on ne peut pas résoudre ce fléau par la distribution de préservatifs: au contraire, ils augmentent le problème. La solution ne peut se trouver que dans un double engagement: le premier, une humanisation de la sexualité, c'est-à-dire un renouveau spirituel et humain qui apporte avec soi une nouvelle manière de se comporter l'un envers l'autre, et le deuxième, une véritable amitié également et surtout pour les personnes qui souffrent, la disponibilité, même au prix de sacrifices, de renoncements personnels, à être proches de ceux qui souffrent. Tels sont les facteurs qui aident et qui conduisent à des progrès visibles. Je dirais donc cette double force de renouveler l'homme intérieurement, de donner une force spirituelle et humaine pour un juste comportement à l'égard de son propre corps et de celui de l'autre, et cette capacité de souffrir avec ceux qui souffrent, de rester présents dans les situations d'épreuve. Il me semble que c'est la juste réponse, et c'est ce que fait l'Eglise, offrant ainsi une contribution très grande et importante. Nous remercions tous ceux qui le font.

Le pape répond sur le terrain de l’efficacité et du réalisme à une question qui lui est posé sur ce même terrain. Il cherche à défendre, contre les critiques auxquelles le journaliste faisait référence, les catholiques qui agissent en Afrique en tentant notamment de promouvoir la fidélité et l’abstinence parmi les populations qu’ils tentent d’aider, en soignant, en facilitant l’accès aux médicaments, et parfois, souvent même, en distribuant des préservatifs, en parfait accord avec la hiérarchie catholique. Car le pape dans sa réponse ne s’oppose pas à l’usage du préservatif. Il déclare seulement que si le préservatif est envisagé comme étant la seule solution au problème, il peut l’aggraver. Qu’est-ce à dire ? Comment comprendre cette phrase ? Le préservatif n’est-il pas un moyen de prévention efficace de la transmission du virus ? Il l’est bien sûr, même si son efficacité est loin d’être parfaite. Alors les propos du pape ? De la pure idéologie ? De la bêtise et de l’ignorance ? De la pure méchanceté ? S’il est possible de demander au lecteur de suspendre son jugement et de me suivre dans mes développements ultérieurs jusqu’à ce que son opinion soit faite…

A quoi sert un « préservatif » ? A faire l’amour dans des conditions d’hygiène et de sécurité acceptables (même si, on le sait, le préservatif n’étant pas fiable à 100%, il peut donner un sentiment de sécurité absolue parfaitement illusoire) de la même manière, si l’on me permet cette comparaison un peu étrange, qu’un maillot de bain sert à faire de la natation dans des conditions de décence acceptables. Mais le fait de distribuer un préservatif n’est pas un acte neutre. Dans un certain sens, livré à lui-même, l’acte de transmettre un préservatif est déjà une incitation, de la part de celui qui donne, à « passer à l’acte ». Si j’offre un maillot de bain à l’élue de mon cœur par exemple, je l’incite à se jeter à l’eau. Elle le prendra ainsi, d’ailleurs, même si en toute logique le maillot de bain n’est pas nécessaire à la natation. De la même manière et réciproquement, si l’élue de mon cœur offre un préservatif à son maitre nageur, à Dieu ne plaise, il pourra prendre cela pour une avance, ou à défaut, si l’élue de mon cœur est irréprochable, hypothèse que je préfère et dont je ne doute pas, à aller assouvir sa libido auprès de ses nombreuses groupies que sa musculature avantageuse ne manque pas de lui attirer. L’acte de nager est virtuellement présent dans le fait d’offrir un maillot de bain, comme l’acte sexuel est virtuellement présent dans le fait de donner un préservatif. Spontanément, chacun associe la natation à un maillot de bain, comme on associe le sexe à un préservatif. Or, il se trouve que l’acte sexuel est le principal vecteur du virus du sida. S’il ne s’accompagne pas de ce que le Pape appelle l’âme, et qui fait référence bien sûr à la défense de la fidélité dans le couple, le fait de donner un préservatif à quelqu’un, surtout lorsque le don provient d’une organisation qui peut posséder un certain ascendant moral, revient à inciter cette personne à faire l’amour, et donc à multiplier les occasions de contamination. Les préservatifs ne tombent pas du ciel comme une manne, c’est le cas de le dire, ils sont transmis par des hommes et des femmes qui sont porteurs d’un message implicite. Les êtres humains ne sont des monades imperméables à l’influence réciproque. Si ce message n’est pas contrebalancé par un message différent, « soyez fidèle », ou « abstenez-vous et n’utilisez le préservatif que si vous ne pouvez faire autrement », la distribution de préservatifs sera comprise comme un blanc-seing ou même une incitation à passer à l’acte, et peut ainsi favoriser la propagation du sida. Les effets bénéfiques indéniables du préservatif en termes de protection physique, sont pour une part au moins contrebalancés par l’incitation à passer à l’acte incluse dans le fait de donner. Ce n’est, ni plus ni moins, ce que veut dire le Pape, lorsqu’il dit que la distribution de préservatif « augmente le problème » si elle n’est pas accompagnée d’un peu d’âme, c’est-à-dire, du point de vue du Pape, d’un appel à la fidélité.

Dans les faits, cette analyse se vérifie. L’Ouganda, un pays dont 45% de la population est catholique et 39% anglicane, a mis en place dés 1986, sous l’impulsion de son président une politique volontariste mettant en avant l’abstinence et la fidélité, en plus du préservatif. Cette politique a eu des effets spectaculaires et le taux de prévalence du sida extrêmement élevé à la fin des années 1980 dans ce pays a chuté de façon importante grâce à cette politique. Il ne s’agit pas ici d’une appréciation partisane de la politique ougandaise, mais au contraire du résumé rapide d’un article paru dans la prestigieuse revue américaine Science qui rend compte des résultats d’une étude consacrée au cas ougandais. Cette étude ne laisse guère place au doute, une politique globale, c’est-a-dire une politique qui comprend une dimension éthique est infiniment plus efficace qu’une politique fondée sur la seule distribution du préservatif.

Les idéologues ne sont donc pas ceux qu’on croit. Car aujourd’hui si les propos du pape font scandale, ce n’est pas parce que le pape s’oppose à la lutte contre le sida mais au contraire parce qu’il ose envisager une alternative au préservatif, plus efficace que celui-ci, sans exclure pour autant son usage. Ceux qui couvrent le pape d’injures aujourd’hui sont les idéologues conscients ou inconscients d’un ordre mondial échangiste et libre-échangiste. Cette idéologie prend les couleurs de la science en mettant en avant le préservatif, « seul moyen de lutte efficace contre le sida ». Le problème c’est que le préservatif est ainsi considéré seulement parce que d’autres comportements, tels que la fidélité, ont été exclu du champ des comportements rationnels ou prophylactiques qu’il pourrait être utile de promouvoir pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la science et qui sont purement idéologiques. C’est le droit le plus strict des idéologues de défendre leurs idées, bien sûr, et il ne me viendrait pas à l’idée de leur jeter à la figure les épithètes qu’ils adressent eux-mêmes au pape, car l’échangisme, libre ou pas, ne manque certainement pas de certains attraits, vu de loin au moins, et même pour un catholique (qui serait assez hypocrite pour prétendre le contraire ?), mais il faut appeler un chat un chat, et un idéologue, un idéologue.
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