"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

09/09/2008

La France, ses racines arabes et moi



Brève histoire d’une conversion, ou comment, grâce au Courrier de l’Atlas, je suis devenu islamophile.

Bon, en cette rentrée, j’avais décidé de faire un effort. C’est qu’à force de me l’entendre dire il m’a fallu l’admettre : j’étais bien trop borné, beaucoup trop franco-franchouille pour passer inaperçu parmi les branchouilleux branchouilles, ces heureux habitants d’une capitale largement ouverte sur le monde et furieusement métissée. Moi, au contraire, honteusement replié sur mon identité à moi, fermé à l’universel, refusant de sortir de mon trou, pas du tout catholique au fond, je leur faisais honte, en tant que concitoyen, à moins que je ne leur servisse de faire-valoir. Mon visage pâle prenait mal le soleil. Casper le fantôme qu’ils m’ont même surnommé un jour de cuite citoyenne, pour me punir de ma blancheur pas repentante ou pour mettre leur propre hâle en valeur, je ne sais. Mais dans un cas comme dans l’autre la sentence est restée la même : j’étais bien trop attaché à mes racines, trop fidèle à mes ancêtres. On allait me dépoussiérer tout ça, me tailler un costard à la page, faire de moi un homme neuf. C’est-à-dire ouvert et sans passé, un mec trop cool, quoi ! Bigarré même, n’ayant pas peur des mots. Bref, on allait extirper les racines du mal.
C’est que, depuis trop longtemps, je filais un mauvais coton xénophobe, 100 % Made in France, comme si c’était encore possible. A l’heure de la mondialisation-mondiale, être franco-franchouillard, c’était plus trop pensable comme projet d’avenir, presque interdit, un délit moral, à défaut d’être positivement un crime. Un ringard qui s’assume, c’est comme un fumeur pas honteux, c’est à peine tolérable, ça sera plus toléré très longtemps d’ailleurs. Des lois contre ça sont en préparation, paraît-il.
Mes proches les mieux intentionnés me l’ont donc fait savoir, tout ça n’avait que trop duré, j’allais finir par nuire à ma famille. A l’école déjà, on regardait en coin mes gamins parce que papa et maman n’avaient pas concocté de « cakes solidaires » aux olives citoyennes pour la dernière fête de fin d’année, et aussi parce qu’on ne les avait pas entendus chanter assez fort avec les « animateurs de luttes » venus sensibiliser les écoles au sort des sans-papiers. Il se murmurait même que sur mes conseils on les aurait aperçus, ces voyous, sécher les cours d’éveil à la foi dans l’Autre pour aller à la messe. Des calomnies bien sûr.
Au point où on en était, j’ai préféré prendre les devants. M’ouvrir au monde, me laisser aller au progrès qui fait rage et me défaire de mes crispations identitaires, ça devenait presque vital. Je n’avais pas le choix au fond, c’était ça ou disparaître à jamais dans les limbes de la ringardise.
J’ai donc franchi le pas, je me suis fait catéchumène en l’Eglise de la modernitude. J’ai acheté une belle paire de roller, un magnifique costume ethnique tout neuf en coton garanti 100 % équitable, et surtout j’ai changé de lectures, j’ai laissé Joseph de Maistre dans un coin (pas trop loin quand même) et je me suis procuré à la bibliothèque municipale plein de livres à la gloire de l’Autre et du Différent. Et même des magazines en vente chez tous les bons kiosquiers. Pour comprendre enfin. Et m’amender définitivement. Mais je ne pensais pas en m’aventurant sur la route de la modernitude que tout ceci irait aussi loin…
Car c’est ainsi que la foudre céleste m’a foudroyé. Mon ancien moi catholique et ringard réduit en cendres, désintégré en un instant par l’éclair divin. La vérité m’est soudainement apparue dans toute sa splendeur ! Je le savais maintenant, avant quand j’étais Français et catholique, j’errais dans la mécréance et la méchanceté, maintenant que j’ai découvert le vrai chemin vers la lumière du grand Autre, je suis devenu gentil. C’est vrai je vous le jure, c’est l’Autre qui me l’a dit, moyennant 2,50 € chez le marchand de journaux. Faites l’expérience vous-même ! Echangez cette modeste somme contre cette excellente revue à destination de la communauté maghrébine en France qu’est Le Courrier de l’Atlas, dans laquelle, profitant du zèle du néophyte qui m’habite, je me suis plongé avec ferveur ce week-end. J’y ai découvert dans le numéro 18 (septembre 2008 après Jésus-Christ) que la France et l’Europe ces deux vilaines, reniaient leurs racines arabes. Arabes, vous êtes sûrs ? Oui, oui, arabes. Car si l’Europe n’a pas de racines chrétiennes (c’est le même magazine qui nous l’affirme en stigmatisant, page 35, ce concept « lourdement chargé du point de vue idéologique » de racine), elle a des racines arabes. La preuve ? C’est qu’elle les renie ! A la tête de cette grande entreprise de reniement (dans la lignée, faut-il le remarquer ? du premier des Saint Pères, saint Pierre, renieur en chef, on doit avoir ça dans le sang au nord de la Méditerranée !) se trouve le chercheur Sylvain Gouguenheim. Certains d’entre vous mal informés pensaient peut-être que Gouguenheim était cet obscur chercheur tout juste sorti de l’anonymat par une docte meute le temps d’un petit lynchage médiatique comme notre époque aime à en mettre en scène, afin de réaffirmer son islamophilie fondatrice. Pas du tout. Gouguenheim est le chef d’un complot européen de grande ampleur visant à nier les racines arabes de l’Europe ! C’est un peu hardi comme hypothèse, me direz-vous, mais quand on constate que Gouguenheim a reçu le soutien d’au moins trois éditorialistes, dont Roger-Pol Droit et Ivan Roufiol et de deux chercheurs, Rémi Brague et Jacques Le Goff, alors qu’à peine 56 historiens et philosophes ont signé une tribune, assez inhabituelle à l’encontre d’un collègue dans Libération, qu’à peine quelques dizaines d’articles sur la toile ont pourfendu sans trop de scrupules son islamophobie, que l’on se rend compte que, dans une démarche tout aussi inhabituelle, Gouguenheim a été réprimandé par son employeur, l’Ecole normale supérieure de Lyon, pour avoir dérogé à la bienséance islamophile, on se rallie sans hésiter à la thèse du complot. L’Europe renie en masse ses glorieuses racines arabes ! C’est bien évident !

Voilà comment Dieu m’a parlé à l’oreille. Je livre ce témoignage afin que chacun en prenne de la graine ! Moi qui aime tant les racines et la tradition, je sais enfin lesquelles sont compatibles avec la modernité obligatoire. Certainement pas d’hypothétiques racines chrétiennes dont personne ne veut, mais bien plutôt mes toutes belles toutes neuves racines arabes et musulmanes, qu’à propos desquelles, à moins de me faire traiter de raciste et d’islamophobe, je ne saurais ironiser. N’en déplaise à saint Pierre et à ses successeurs, cette bande de renieurs !
Inch’Allah, et bon Ramadan à tous !