"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

30/04/2008

Mon mois de Mai-68 à moi


A ma mère qui, la pauvre, dut pendant l’Evènement se contenter d’allaiter le jeune monde plutôt que de fuir l’ancien.

Mon mois de Mai-68 à moi
moimoimoimoi
Parce que moi aussi, Mai-68, je le vaux bien.

Face aux vagues incessantes des témoignages lyriques d’anciens et néanmoins glorieux combattants, face au déferlement, lancinant comme une rage de dents, d’analyses aussi répétitives que contentes d’elles, face au tsunami débridé enfin des commentaires sur le Net, mes nerfs ont lâché. Ce flot de paroles libéré, on se serait cru de retour à la case départ. Une vraie cacophonie médiatique et consensuelle, digne d’une AG improvisée place de la Sorbonne, en plus pontifiant et officiel. C’était à croire qu’en voulant liquider l’Evènement, le président avait malencontreusement contribué à alimenter, puis à faire sortir de son lit, le fleuve tranquille de la contestation autorisée.

Tout allait donc recommencer, non pas comme en 40 dans le maquis, il ne faut pas plaisanter avec ces choses-là, mais comme il y a 40 ans à Nanterre… Je n’en pouvais plus des piles de livres dans les librairies, des reportages exclusifs à la télévision, des discussions de bistrot sur les bouts de trottoirs concédés aux fumeurs, tous consacrés peu ou prou à l’Evènement. Mai-68 sous toutes ses coutures défraichies, sous tous ses angles plus ou moins révolutionnaires. En aura-t-on mangé du cliché et du slogan mal réchauffés mais toujours plus prétendument impertinents et inventifs, de la fantaisie et de la liberté, de l’audace et du goût-de-l’avenir-qui-nous-appartient. C’est des trucs à vous dégoûter à tout jamais du jeune qui sommeille en vous. A vous faire vieillir de vingt ans d’un coup. Et même à vous donner envie d’aller vous fournir en blazer chez De Fursac, et de rentrer sagement chez vous le soir, Le Figaro sous le bras et la serviette Longchamp à la main, ou inversement. Bref, de vous ringardiser illico, et définitivement.

C’est remuant ces considérations déprimantes et reclus dans un mutisme cafardeux que je pensais passer l’anniversaire de l’Evènement. Tout écran éteint et volet clos. Coupé du monde célébrant. C’eut été logique il faut dire, puisque mon Mai-68 à moi, pour ce que je m’en souviens, je l’ai vécu d’une drôle de façon, allongé tout du long et cloitré dans ma chambre. A priori bien peu racontable comme expérience. Pourtant, conseillé par un ami psy, un jeune retraité tenant d’une approche Deleuzo-guattarienne de la déconstruction antioedipienne, rhizomique et pourtant réticulaire du moi, j’ai décidé de guérir le mal par le mal et de m’attaquer moi aussi à la chose. D’accoucher de mon Mai-68 à moi. De le porter en pleine lumière. D’affronter le monstre médiatique et d’en triompher grâce à mon petit, tout petit moi de l’époque. De raconter l’Evènement tel que je l’ai vécu sur le coup. Et d’intégrer ainsi le Léviathan commémorant. Puisqu’au fond, comme me l’a suggéré mon psy, il y a paraît-il autant de Mai-68 que de protagonistes, il ne me semble pas illégitime de vous dire, ce que moi, en ce mois de mai, je fus et je fis. Parce que moi aussi, Mai-68, je le vaux bien. Et il ne me semble pas, à la réflexion, que je doive tellement rougir de ma performance personnelle soixante-huitarde. Jugez-en plutôt !

Comme je vous le disais je passais l’essentiel de l’Evènement allongé, non pas vautré sur quelques chaises et pupitres de Nanterre, mais, plus banalement, dans mon lit. Dans mon petit lit de bébé. Petit, petit. Pourtant il ne faut pas croire que je ne revendiquais pas, que ne réclamais pas, que je ne braillais pas, comme tout jeune qui se respecte devait le faire à l’époque. Que je ne continuais pas le combat, à peine entamé pourtant, pour ce qui me concerne. Je braillais et revendiquais donc beaucoup au contraire, réclamant avec les hauts cris qui s’imposent pitance et attention. M’offusquant des moindres baisses de vigilance parentale, guettant du coin de l’œil la plus courte prise de sommeil intempestive. J’apostrophais même cavalièrement mes deux géniteurs désemparés et inexpérimentés (je suis l’aîné de la fratrie) en les rappelant, par le truchement de cris répétitifs particulièrement perçants et irritants, très caractéristiques du nouveau né, à leurs devoirs parentaux. Je m’érigeais en gardien infaillible et omnipotent de mes droits, et je réclamais, exigeais, sommais. Lorsque je ne criais pas, je dormais ou je mangeais.
En clair, je passais l’essentiel de mon temps à faire ce que font la plupart des étudiants en grève. Sans compter les emmerdements que le bébé comme le gréviste procurent à la communauté. Dans ce domaine aussi j’étais au diapason de la contestation. Il n’y a guère que pour la bagatelle que mes aînés m’en remontraient sans doute, mais c’était largement compensé par les soins attentifs et affectueux que me procuraient mes parents. Toutes mes revendications ont été acceptées sans discussion à l’époque, les étudiants ne peuvent pas en dire autant. J’en ai profité pour offrir au crépuscule de ce beau mois de mai, peu après la fuite du général à Baden-Baden, mon premier sourire à mes géniteurs. Ils en ont été comblés.

Et moi aussi.
moimoimoimoimoiumoimoi
Qui dit mieux ?