"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

01/09/2010

La conversion selon Kadhafi, la conversion selon Joseph Fadelle

En entendant le dirigeant multicarte « guide de la Révolution », « roi des rois traditionnels d’Afrique » et autoproclamé colonel Mouammar Kadhafi appeler l’Europe, depuis la capitale de l’ancien pays colonisateur, à la conversion à l’islam, on pourrait être tenté sous le coup de la colère de vouloir que le Pape fasse preuve dans ses relations avec l’islam du même prosélytisme et appelle les musulmans « en terre d’islam » à la conversion au christianisme. Sans aller jusqu’à souhaiter bien sûr qu’il prononce cet appel depuis La Mecque, où il ne risque pas de pouvoir mettre les pieds dans un avenir prévisible. Ce n’est pas non plus demain la veille bien sûr que le Souverain Pontife se livrera à une telle déclaration, et c’est fort heureux, si l’on s’intéresse un tant soit peu au sort déjà très délicat des chrétiens d’Orient.



Mais comme cela a été déjà souligné ailleurs, l’appel de Kadhafi est en soi assez comique et à ce titre ne mérite pas de réponse, en ce qu’il paraît ignorer le sens du mot conversion dans un contexte encore imprégné de culture chrétienne. Ici, la conversion ne peut être qu’une conversion du cœur, c’est-à-dire personnelle et intime. « L’Europe », cette abstraction collective, ne saurait donc se convertir à quoi que ce soit.



Une conversion du cœur, c’est ce qu’a connu Joseph Fadelle en 1987 lorsque cet aristocrate irakien, fils préféré et héritier d’un notable chiite, gonflé d’une morgue juvénile et fort d’une solide hostilité aux chrétiens, a rencontré dans une caserne un humble paysan chrétien quadragénaire du nord du pays. Sur les injonctions de son camarade de chambrée, il accepte de « lire vraiment » le Coran pour en découvrir le sens profond. Il lit ensuite les Evangiles et se convertit secrètement au christianisme. Il vivra alors sa foi seul, durant de longues années, sera emprisonné, torturé par la police secrète de Saddam Hussein, après avoir été livré aux autorités par sa famille qui considérait sa conversion avec horreur et dans la crainte d’y perdre son honneur. Après de longues années passées à frapper à la porte des églises irakiennes et jordaniennes, il finira par obtenir le baptême puis un statut de réfugié en France, avant de devenir français, en compagnie de sa femme et de ses enfants. Il raconte sa conversion et les persécutions qu’elle lui a values dans un livre simple et bouleversant, intitulé Le Prix à payer, paru en avril 2010 aux éditions de L’œuvre. La foi de Joseph Fadelle, qui soulève des montagnes de haine et de suspicion, est un modèle un peu écrasant pour les catholiques endormis par la modernité postmoderne que nous sommes tous plus ou moins en France.



A la fin du mois de mai, Joseph Fadelle était invité de l’émission L’Esprit des lettres sur la chaine KTO. On peut voir cette émission ici. Le témoignage de Joseph Fadelle commence à la minute 52, mais toute l’émission est intéressante, avec notamment une présentation du nouveau livre de Sylvain Gouguenheim (l’auteur courageux d’Aristote au Mont Saint-Michel), consacré à la réforme grégorienne.



A la fin de l’émission, il faut entendre son sympathique animateur supplier Joseph Fadelle, né dans l’islam, converti au christianisme et persécuté pour cela jusqu’à la tentative de meurtre par sa famille et ses ex-coreligionnaires, de dire du bien de son ancienne religion. Trois fois au moins, avec une gentillesse apparemment imparable, il est revenu à la charge pour amener son interlocuteur à dire quelque chose en faveur du Coran ou de l’islam, ou au moins à sacrifier au rituel de l’incontournable dialogue des civilisations. Aux yeux de l’animateur d’une émission catholique consacrée à un homme retraçant son calvaire de converti au christianisme dans un pays musulman, son invité ne pouvait faire moins que d’œuvrer en faveur de la sacro-sainte cause de la compréhension mutuelle en disant du bien de la religion de ses anciens tortionnaires. La cause de la tolérance obligatoire n’admet pas de limite, surtout pas celle de la décence. Mais Joseph Fadelle a tenu bon, se contentant d’enjoindre les Français à lire le Coran. Un vrai dialogue de sourd entre l’animateur prompt à pointer le manque d’ouverture à l’Autre et la méfiance injustifiée à l’égard de l’islam des Français, et l’ancien musulman qui affirmait tranquillement la différence irréductible entre un Coran qui appelle au meurtre des convertis et les sévères appels à aimer ses ennemis des Evangiles.