"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

07/06/2010

Xavier Grall nationalisé




Dans le numéro 24 du mensuel Causeur, je nationalise d'autorité et naturalise français sans consultation préalable aucune des comités citoyens et participatifs bretonnant  le grand poète breton Xavier Grall. René Rougerie, juste avant de disparaitre au mois de mars dernier, a publié un magnifique recueil de ses oeuvres poétiques. Voici un extrait de son poème Solo, ecrit peu de temps avant sa mort.  


Seigneur Dieu
Pourquoi vous cachez-vous
Aux yeux de ceux qui vous aimaient
Adieu les pieux errants
Lierres et pierres
Temps frivoles et sans pitié
Temps meurtriers
Ronciers
Temps de mécréance
Temps de médisance
Dévorez-moi
Dévorez-moi
Car je ne saurai vivre
Sans croire que les chemins
Vont quelque part
En quelque ville



Seigneur Dieu c’est moi
J’ai fait un grand voyage
Permettez que je retourne
En Bretagne
Pour vivre encore quelques années
Je n’ai pas grand âge
Vous le savez
Quelques printemps encore
Donnez-les moi
Afin que je vous loue
Par l’aubépine et le laurier
Accordez-moi quelques étés
Afin que je vous chérisse
Par la tendresse reposée
Du myosotis et de la rose
Seigneur Dieu

Au royaume de la terre
Laissez-moi retourner
Au temps d’hiver
Je serai trouvère
Trouvant prière
En mon âme recouvrée

Seigneur Dieu

Redonnez-moi ma maisonnée
Et ma femme française
Qui tant patiemment
Ma santé mauvaise
Soigna à Botzulan
Rendez-moi paroisse et commune
Mes trois bouleaux
Mes deux cyprès
Et mon talus buissonnant
Et le chêne tout frivolant
Avec les tourterelles
Tourterellant
Rendez-moi les hirondelles
Nichant
Nizonnant
Botzulanisant en la mémoire
Des cheminées

Seigneur Dieu
Ce que pour Lazare
En belle Galilée
Vous avez fait
Ne le ferez-vous pas
Pour ma chair tant abîmée ?



Seigneur

C’est votre grâce
Que je supplie
Et non votre puissance
Opérez ma renaissance
Il suffira d’un peu de souffle
Dans ma poitrine
D’un peu de salive
Sur ma bouche chagrine
Seigneur maître de la vie
Voici donc ma bretonne supplique
Prenez mes plaies et mes peines
Alllégez ce fardeau que je traîne
Dans les blanches cliniques
Aux adieux des condamnés
Comment me résignerais-je
Comment dire adieu aux fontaines
Aux sources aux rivières
A l’Elorn à l’Isole à l’Aven ?
Qu’il me souvienne

Des bourgades humaines
Du rire de l’aurore
A l’œil des fenêtres
Comment quitter
Tous ceux que j’aime
Frères de Bretagne
Amis de Seine
Pourquoi faudrait-il
Que m’adviennent
Douleurs et précoce trépas



Seigneur Dieu

A pauvre et bonne pauvreté
Votre riche palais ne convient pas
Redonnez-moi ma jaune masure
Et l’amour de la vie
Et l’amour des hommes
Car telle est la mesure
De notre seul honneur !



Seigneur

D’amour vous avez blessé Verlaine
Et devant votre corps fabuleux
Rue Ravignan
La chair de Max Jacob
Est tombée par terre

Seigneur
Par l’annonciation des poètes
Je crois aux jours heureux
De votre Parousie
Vous viendrez dans les vergers
Par la voie lactée
Et les sentiers d’ancolie
Nos maisons de pierres
Seront vos reposoirs
Nous mettrons le pain le vin
Sur la table
Les colombes s’envoleront
Des retables
O les ajoncs sensibles
Dans la clarté du soir

Amour aimant l’amour
Feu brûlant le feu
Incandescence
Phosphorescence
Brasier brassant brassée de flammes
Aurore aurorant de coqs et de rosée
Ames embrasées
Tendresses embrassées
Phares effarés de brûlures

Enluminures

(...)

O glèbe sauvée



Seigneur Dieu

Pour votre Parousie
Me laisserez-vous revenir
En ma paroisse nizonnaise ?
Du mal qui me peut advenir
Epargnez-moi
Bonne est la vie
Parmi les êtres humains
Mon cœur est sans froidure
Et peu me dure le temps
Quand je suis fraternel



(...)

Et si je ne parviens pas
En ma patrie humaine
Si me tourmente le vent
Ou si me crève la pluie
Si les crapauds méchants
Mangent ces bronches pourries
Si ma dernière route
Doit être si meurtrière
Que je me couche transi
En funèbres fougères
Faites que je sache aimer encore
L’herbe des prairies
La clameur du bief
Et la voix de l’écluse
Emplissez d’azur
Mes paupières repliées
Et que sonnent les musiques
Dans la dernière brise respirée
N’abîmez pas ma chrétienne créance
D’ignoble effroi et longue dolence
Vous le savez
De mes péchés et mauvaisetés
Cent fois j’ai fait repentance
Accordez-moi l’infinie souvenance
De la splendeur de la terre
Et puis emportez-moi
A l’exacte place
Qu’en votre pitié vous réservez
Aux hommes de ma chanteuse race



Seigneur Dieu

A mes frères et amis
Aux femmes que j’ai aimées
A tous ceux que mon cœur à croisés
Avant que d’entrer dans les ténèbres
Transmettez je vous prie
Mon espérance testamentaire
Nul chant nul solo
Nulle symphonie nul concerto
Qui porte nostalgie d’amour
Et soif et faim de tendresse
Ne sera perdu dans la détresse de la mer
Voilà et puis encore ceci
Par la dernière larme
Par l’ultime halètement
Par le dernier frémissement
Par le moineau qui s’envole
Par le geai sur la branche
Par la dernière chanson
Par la joie dans la grange
Par le vent qui se lève
Par le matin qui vient
Tout simplement
Je vous rends grâce
D’avoir été dans le bondissement
Incroyable
De votre création
Un pauvre hère mortel divin
Et misérable
Oui
Tout simplement
Un être humain
Parmi les milliards
Et les milliards de vos créatures
A présent que les feuilles
Et les mains
De douce nature
Me closent les yeux !



Mais Seigneur Dieu

Comme la vie était jolie
En ma Bretagne bleue