Save My Soul
Il serait dommage que la triomphale réélection de Jean-Paul Huchon fasse oublier certaines des remarquables propositions de campagne de Valérie Pécresse. L’une d’entre elles, le SMS anti-agression, mérite en effet toute notre attention et devrait être reprise par les socialistes, toujours plus soucieux de se mettre au diapason du gouvernement en matière de sécurité, afin de couper court aux accusations de laxisme en la matière. Grâce au SMS anti-agression de lancinantes questions que chacun se pose peut-être encore dans notre monde somme toute pacifié sont sur le point de devenir obsolètes. Par exemple : « Comment réagirais-je si j’étais le témoin d’une agression dans le métro ? Serais-je capable d’intervenir ? » Car les témoins d’atteintes à l’intégrité physique des personnes dans les lieux publics devraient bientôt avoir les moyens d’intervenir en ne bougeant que le petit doigt, ou plutôt soyons précis, que le pouce. Sans même prendre la peine de se lever de son siège et de risquer de devoir céder sa place aux nombreux infortunés voyageurs lorgnant sur celle-ci aux heures de pointe, il devrait être possible de rester en paix avec sa conscience en envoyant un SMS (0 centime d’euro/appel, plus surtaxe éventuelle selon opérateurs) pour signaler une agression dont on est témoin à un centre de « vidéoprotection » -vocable qui a récemment et avantageusement remplacé celui, dangereusement stigmatisant pour les forces de l’ordre, de « vidéosurveillance »- de la police. Les héros de notre temps feront montre de leur courage à coup de SMS, en feignant l’indifférence la plus complète, tout en mobilisant discrètement pouce et âme pour restaurer la tranquillité publique. Ils ressembleront ainsi à ce néo-médecin, décrit par Benoît Duteurtre dans son nouveau roman, qui ne lève le nez de son ordinateur que pour demander à l’importun qui squatte son cabinet sa carte vitale, ou encore à ces playboys postmodernes qui ne prennent le risque d’aborder les femmes qu’à coup de coups de cœur envoyés sur Meetic.
Evidemment, un dilemme douloureux se présentera lorsque le héros potentiel devra agir alors que sa batterie sera à plat. Je lui conseille alors d’enlever en toute hâte la coque protectrice de son précieux portable, et transformer celui-ci en redoutable arme par destination à usage unique, en le fracassant sur la tête de l’agresseur. Il fera ainsi d’une pierre deux coups, en débarrassant la communauté à la fois d’un agresseur en chair et os, et d’un agresseur numérique, qui parfois n’est pas moins pénible que le premier.
Sans compter qu’il fera preuve ainsi d’un bon vieux courage physique à l’ancienne, susceptible d’améliorer chez lui cette sacro-sainte estime de soi, dont les sociologues les plus autorisés sont aujourd’hui persuadés qu’elle est la condition sine qua non de l’émergence d’un nouveau vivre-ensemble.