"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

04/01/2010

Islamisme, Antiracisme, même combat ?

Finkielkraut, Camus, Zemmour, Sarkozy, Hortefeux, Valls, Chirac, Frêche, Morano, Benoît XVI, Redeker, Gouguenheim, et j'en passe. Il y a quelque chose de lassant, mais aussi de délirant qui mérite sans doute d'être réfléchi, dans ces explosions médiatiques et métronomiques, dont on ne sait si elles sont motivées par la jubilation de voir un puissant ou supposé tel trébucher, ou par une colère sincère. Les deux, mon chef de meute, répondraient les indignés, s’ils savaient faire preuve parfois d’honnêteté intellectuelle. On se souvient de la remarque de Baudrillard sur le racisme. L’association SOS Racisme semble avoir formé son nom sur le modèle de celle qui défend les baleines. SOS racisme = SOS baleines. Il y a chez les antiracistes (1) la volonté inconsciente de sauver le racisme comme objet idéal d’opposition. On ne sera jamais assez antiraciste. C’est pour cela que la consommation médiatique de « racistes » n’a jamais été si importante qu’aux temps de la criminalisation du racisme. Comment qualifier autrement que de ferveur religieuse cette volonté forcenée de rejeter dans les ténèbres extérieures ceux qui à la faveur d’une simple phrase maladroite, ou même parfois à la faveur de rien du tout, et alors même qu’en général ils ne cessent de réaffirmer leur stricte adhésion au dogme antiraciste, sont offerts soudainement et malgré eux en holocauste afin d’apaiser la fureur sacrée de ce Moloch moderne qu’est l’antiracisme. Personne en France aujourd’hui parmi les sphères dirigeantes ou même seulement influentes ne s’affirme ouvertement raciste, et pourtant la meute médiatique ne cesse de dénicher des racistes cachés, tels les antiques marranes, un peu partout aux quatre coins de l’Hexagone qui compte, à coup de vidéos volées et de petites phrases qui dérapent.

Durkheim, lorsqu’il identifiait le religieux et le social, soulignait que le crime était nécessaire à la société pour s’éprouver en tant que groupement humain partageant des valeurs communes. Lorsque le criminel ou supposé tel heurte les valeurs propres à une communauté, celle-ci réaffirme son existence en tant que communauté à travers la condamnation et le châtiment du coupable. La communauté trouve dans la répression unanime de ce qu’elle considère comme un crime l’occasion de renforcer les valeurs qu’elle partage. Plus encore que les procédures judiciaires toujours compliquées à mettre en œuvre et trop soucieuses du droit des accusés, le lynchage médiatique est aujourd’hui une institution pénale sui generis qui se charge du rôle éminemment social de châtier les coupables. Grâce à elle, on ne s’embarrasse plus de fioritures juridiques et on va droit à l’essentiel.Taïaut ! Taïaut !

Vue l’ardeur avec laquelle on le pratique aujourd’hui, heureusement que le lynchage médiatique ne tue pas. C’est même sans doute pour cela qu’il a pu être érigé en culte central de la religion antiraciste, puisque, on le sait depuis René Girard, les religions établies sur le culte des sacrifices sanglants n’ont pas survécu à l’avènement du christianisme. Car l’antiracisme est bien une religion, ou plutôt, ne galvaudons pas ce beau nom de religion, une secte qui a réussi, même si, comme toutes les sectes, elle estime que les hérétiques sont toujours trop nombreux, beaucoup trop nombreux. Les hérétiques quand il y en a un ça va, c’est quand…Vous connaissez l’antienne.

Ainsi la France, surtout dans sa partie « souchienne », et malgré le réchauffement de la planète, est « frileuse », c’est-à-dire au fond du fond de son moi refoulé, raciste et « islamophobe » -le dernier-né des vocables créés par l’inventive démonologie du clergé de l’antiracisme, avec l’aide, faut-il le rappeler, d’un autre clergé, beaucoup moins métaphorique celui-là, je veux parler bien sûr du clergé chiite iranien- parce qu’elle n’accepte pas assez vite et avec assez d’enthousiasme l’islamisation d’une partie de sa population (outre les Français immigrés et enfants d’immigrés originellement musulmans, on parle de 60 000 convertis parmi les « souchiens »), et la transformation de ses paysages urbains par la construction de nombreuses mosquées (200 actuellement, selon des sources impeccables, tel Le Monde), souvent grâce à des subventions publiques que l’on peut considérer comme généreuses en cette période de crise économique, sous forme par exemple de mise à disposition de terrains pour un loyer d’un montant symbolique. 60 000 convertis, 200 mosquées en construction, c’est pas si mal quand même pour un pays dans lequel l’islamophobie ne cesse paraît-il de faire des progrès.

« En tant que souchien », on a parfois l’impression de faire partie d’un troupeau (de bétail certifié VF, et pas encore tout à fait fou) houspillé sans relâche par les pasteurs du culte antiraciste pour qu’il gagne au plus vite le paradis enchanté de l’étable multiculturelle, diverse et/ou métissée, on ne sait plus trop. Allez, au trot Blanchette, et on arrête de regarder en arrière ! De temps en temps, le spectacle d’un puissant, lynché pour apostasie plus ou moins volontaire, sert de moteur efficace à « l’intégration » au troupeau antiraciste en route pour le Jardin d'Eden des brebis trop blanches pour ne pas être potentiellement galeuses.



Penant ce temps en Irak, l’épuration religieuse s’accélère. Des bombes sont posées dans les églises, des femmes chrétiennes sont violées, des fidèles assassinés. En quelques années le nombre de chrétiens a été divisé par trois dans cette vieille terre chrétienne, passant d’un million à moins de 400 000 personnes. Ces dernières semaines, une ville entière, c’est-à-dire 6000 personnes, a été vidée de ses habitants à la suite de plusieurs attentats qui ont fait souffler un vent de panique parmi la population chrétienne. On est loin des graffitis, parfaitement idiots et répréhensibles faut-il le préciser, de Castres ou de Toul.

Pendant ce temps là en Egypte, des lieux de cultes, parfois des monastères parmi les plus anciens du monde chrétien, sont attaqués à l’arme lourde par des islamistes lors de heurts que la presse occidentale présente comme « des affrontements interreligieux ». Des femmes chrétiennes sont enlevées, converties de force et mariées à des musulmans, dans l’indifférence de tous, policiers compris.

Pendant ce temps là au Pakistan les émeutes antichrétiennes tuent. Dix morts au moins cet été, dont des enfants, dans l’indifférence générale des opinions publiques occidentales. Au quotidien, le Pakistan, soutenu à bout de bras par les deux superpuissances que sont la Chine et les Etats-Unis, parque ses trois millions de chrétiens dans des ghettos insalubres dans lesquels ils exercent les métiers dont personne ne veut dans ce « pays des purs ». Leurs conditions de vie actuelles feraient passer le ghetto vénitien du XVIe siècle ou les carrières du comtat Venaissin de la même époque pour des villages vacances du Club Med. Fin 2008 à Islamabad un mur, oui un mur, hérissé de tessons de bouteille, a été construit autour de la « colonie française », le nom d’un ghetto où vivent 5000 chrétiens sans eau courante, électricité ou ramassage d’ordures, pour isoler les bons pakistanais musulmans des chrétiens accusés dans ce pays de tous les maux : ignorance, superstition, prostitution, alcoolisme, trafic de drogue. De temps en temps, une foule en furie se charge de faire appliquer, de façon assez expéditive, les lois anti-blasphème du coin, en lynchant quelques chrétiens. La dernière fois, c’était donc au mois d’août 2009, lorsque des chrétiens de Gojra ont été tués au cours d’une émeute provoquée par des rumeurs, qui se sont avérées infondées par la suite, de profanation du coran. Les conséquences de l’exercice de la démocratie directe au Pakistan sont un peu plus sévères, avouons-le, que ce que l’on connaît chez nos amis Suisses.



Pendant ce temps là, au Soudan, les chrétiens sont livrés en pâture par le pouvoir aux Janjawids, des groupes de bédouins musulmans, qui parfois, cela s’est vu, crucifient leurs victimes.



Selon une association proche du Vatican, les trois quart des persécutions religieuses dans le monde touchent aujourd’hui des chrétiens. Car bien sûr, ce n’est pas seulement dans les pays musulmans que les persécutions contre les chrétiens fleurissent : en 2009, une chrétienne a été exécutée en public en Corée du Nord où le prosélytisme religieux est puni de mort. En Inde, dans l’Etat de l’Orissa en particulier, les chrétiens sont régulièrement l’objet d’exactions terribles. On pourrait facilement allonger la liste. Il n’en reste pas moins que ce sont en « terre d’islam », c’est-à-dire sur de très antiques terres chrétiennes, telles l’Egypte et l’Irak, que les persécutions antichrétiennes ont pris le plus d'ampleur.



Oui, je sais, ce n’est parce que d’autres se comportent mal que nous devrions en faire autant en Occident. Oui, je sais, c’est très mal de faire jouer la concurrence des victimes. Mais il n’est pas question ici de défendre une quelconque réciprocité dans le traitement des minorités religieuses ici et là-bas. Quel cinglé pourrait envisager une chose pareille ? Et pourtant ! J’ai entendu, au cours d’un débat qui l’opposait à un « théologien musulman » égyptien, Oskar Freysinger, le député suisse ayant organisé la votation sur l’interdiction de la construction de nouveaux minarets dans son pays, se réclamer d’une politique du chacun chez soi qui fait froid dans le dos. Vous faites ce que voulez avec vos chrétiens d’Orient disait-il en substance à son interlocuteur, et nous faisons ce qu’on veut avec nos musulmans. Une démission complète du projet de tolérance religieuse que l’on défend en France et plus largement en Europe depuis quelques siècles. C’est d’ailleurs pour cela qu’il faut s’indigner (eh oui, il faut s’indigner) du sort que subissent les chrétiens dans de nombreux pays musulmans. Et si possible agir. Pour que ça s’arrête. Comment ? A part me répandre ici, je ne sais pas. Si quelqu'un quelque part a une idée, je suis preneur.

L’indifférence crasse que Freysinger manifestait à l’endroit des chrétiens d’Orient lors de ce débat m’a terrifié. Mais cette indifférence, il la partage avec tous les antiracistes si prompts à stigmatiser le racisme occidental. Qu’il me soit permis de le demander simplement : tous les indignés de l’islamophobie qui monte, où sont-ils quand on massacre les chrétiens d’Orient ?

Parfois, ce « deux poids deux mesures », selon la pénible expression consacrée, est tellement flagrant qu’il en devient troublant. J’en viens à me demander s’il n’existe pas une alliance objective, ou même une identité profonde, entre l’antiracisme qui triomphe ici, et l’islamisme qui sévit là-bas. René Girard, en conclusion de son dernier ouvrage, se demandait si l’islam n’avait pas « pris appui sur le biblique pour refaire une religion archaïque [c’est-à-dire sacrificielle selon la terminologie girardienne] plus puissante que toutes les autres », et plus puissante peut-être que le christianisme lui-même, suis-je tenté d’ajouter les jours de déprime. Car si Girard voyait encore naguère dans le monde moderne le triomphe définitif du christianisme sur les religions archaïques, il faut bien constater que le tableau qu’il dresse du monde contemporain dans son Achever Clausewitz est beaucoup plus sombre. L’islamisme, et peut-être l’islam lui-même, nous prouve aujourd’hui que l’archaïque avait des ressources cachées. Avec l’antiracisme lyncheur, nous avons-nous-mêmes recréée une religion archaïque fondée sur une idée chrétienne, celle de l’unité du genre humain, devenue folle.

Assisterions-nous à une régression sacrificielle de l’humanité, ici sous la forme tragi-comique du lynchage médiatique antiraciste, là-bas sous la forme cauchemardesque de l’attentat de masse et de la purification religieuse, sous l’effet de l’affaissement spirituel de l’Occident et de la disparition de son magistère moral dans le reste du monde? C’est une question.
 
(1) Je précise que lorsque je parle ici d'antiracistes, je ne fais pas référence aux gens, très nombreux dans notre pays, et dont je pense faire partie, qui sont opposés au racisme sous toutes ses formes, y compris, je l'espère, et c'est mon cas, opposés au racisme qu'il leur arrive parfois d'éprouver presque instinctivement eux-mêmes, mais je parle des antiracistes professionnels ou amateurs, ceux qui prennent un plaisir sans fin à s'indigner sans fin du racisme des autres.