"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

25/02/2009

Requiem pour la joie créole



Ah, nous pouvons être fiers ! Après plusieurs siècles d’efforts, nous autres Français, champions internationalement reconnus de l’intégration de nos étrangers avons enfin réussi à assimiler parfaitement les populations créoles de nos DOM, et même de nos ROM. Il était temps ! Cette insouciance qui caractérisait la lointaine France d’Amérique était une pierre dans le jardin des assimilateurs. Une insulte pour le rêve intégrationniste. Trêve de sourire, assez de proverbiale gaité et de légendaire joie de vivre ! Le bonheur créole qui frappait encore naguère le voyageur occidental lorsqu’il avait la chance de venir oublier quelque temps l’âpreté de la vie moderne sur ces rivages enchanteurs est enfin de l’histoire ancienne! Aux oubliettes la douce langueur de la biguine ! Adieu les « bals négres », aussi bons pour le moral fussent-ils ! Enterrée la joie éclatante du Zouk ! Fini l'heureux temps du carnaval, voici celui des manifestations, barrages et pillages ! L’alignement des provinces, autrefois prophétisé par Alexandre Kojève, triomphe enfin jusque dans les lointaines Antilles françaises!

Le Guadeloupéen aujourd’hui serre les mâchoires et revendique comme n’importe quel petit-bourgeois occidental obsédé par son pouvoir d’achat. Exit la pauvreté joyeuse de nos frères antillais, bonjour la triste opulence à l’occidentale! L’insulaire antillais exige de pouvoir faire la gueule comme n’importe quel hexagonal de base, avec ses 200 euros supplémentaires en poche ! La couleur de l’avenir ce n’est ni le blanc, ni le noir, ni celle, indéterminée, de la créolité, ni même le rouge révolutionnaire des manifestants, mais le vert. L’horrible couleur verte du visage de l’envieux. Le Guadeloupéen est dorénavant gagné par la triste passion de l’égalité, la passion démocratique par excellence, si l’on en croit Tocqueville. La moindre inégalité de traitement est une souffrance qui mérite réparation, une insupportable humiliation au moins aussi grave que des siècles d’esclavage! Les indépendantistes du LKP l’ont bien compris, la liberté aujourd’hui n’intéresse personne. C’est l’égalité qui motive les troupes. La Guadeloupe est à eux, ils nous le répètent assez, non pas comme le serait une terre de liberté pour d’anciens esclaves, mais comme un bien à consommer, un butin à partager, exactement sur le modèle de la ploutocratie béké que les « vrais Guadeloupéens » rêvent de remplacer ! L’aspiration à l’émancipation a disparu derrière ces revendications « sociales ». C’est l’aliénation à la marchandise qu’ils recherchent au contraire ! Béké à la place du Béké, voici l’avenir dont semble rêver les anciens esclaves !

Comment ne pas être frappé par la tristesse, par la hargne des visages qui revendiquent aujourd’hui en Guadeloupe ? On se croirait un premier mai place de la Bastille ! Michel Serres le remarquait récemment dans le Journal du Dimanche, l’espérance de vie n’a jamais été aussi longue dans notre pays. Depuis 1945, les Européens de l’ouest n’ont pas connu de guerre sur leur continent pendant une période incroyablement longue de leur histoire tourmentée. Quant au niveau de vie, a-t-il jamais été plus élevé, dans l’Hexagone ou dans les Antilles ? « En Occident, on n’a jamais été aussi heureux, concluait-il, et on ne le sait pas ». En Guadeloupe aussi, comment nier que, sur le long terme, le sort de la population locale s’est amélioré ?

Comment dés lors expliquer que là-bas comme ici, la morosité progresse de conserve avec le pouvoir d’achat ?

Tant que nous n’aurons pas répondu à cette question, « la crise du capitalisme » a de beaux jours devant elle.

Homo Pouvoirdachetus est décidément un triste sire.