"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

18/10/2007

La cité de l’Immigration, une cathédrale post-moderne.

Après avoir appris que ma francité était sujet à caution puisque je ne compte personne parmi mes ancêtres qui soit d’origine étrangère, j’ai tenté de m’intéresser au projet politique qui sous-tend la création de la cité nationale de l’histoire de l’immigration. Selon les termes mêmes des concepteurs du projet, il s’agit d’une « entreprise de vérité » qui vise à « renforcer la cohésion sociale ». N’est-ce pas contradictoire ?


La peur étant la mère de toutes les vertus, j’ai pris la peine ce week-end de m’intéresser à notre flambant neuve Cité nationale de l’histoire de l’immigration. En lisant le document qui se présente comme le projet culturel et scientifique de cette noble institution on apprend des choses étranges. Ainsi la cité se propose de poursuivre plusieurs objectifs.

L’un d’entre eux est « de contribuer à la cohésion de la Nation en reconnaissant l’apport des étrangers à l’histoire de France, en construisant des valeurs communes, en éclairant tous les Français sur ce qui fonde le “vivre ensemble” dans la société d’aujourd’hui ». Le premier objectif est donc de nature éminemment politique. De tout temps « assurer la cohésion sociale » a été un des buts principaux du pouvoir. Depuis Hobbes au moins, ce projet a été théorisé au nom d’une volonté d’évitement de la violence au sein du corps social. Un peu comme le président Hu Jintao vient à Beijing de réaffirmer la nécessité du renforcement de « l’harmonie sociale », les concepteurs de la Cité de l’immigration cherchent à favoriser la paix sociale grâce à « l’appropriation de la mémoire » nationale par une partie de la population que l’on suppose a priori défavorisée et à susciter chez elle « une certaine fierté ». Il s’agit donc d’une version institutionnelle des fameuses prides qui ne cessent de se développer en Europe occidentale ces dernières années. Il faut donc s’attendre, dans le cadre des activités que ne manquera pas d’organiser la Cité hors des murs étouffants du musée, à l’organisation dans les années à venir d’une inédite « migrant pride » qui réunira sans doute des chars représentant l’identité de chacun des peuples ayant contribué à la constitution de l’identité française au son d’une musique techno qui se réappropriera et transcendera dans un même mouvement la musique folklorique de chacune de ces contrées dans un vacarme assourdissant. Beau projet !

Un autre objectif un peu platement énoncé est de nature « scientifique ». Il s’agit pour la cité de « jouer un rôle moteur » dans ce domaine.

Mais est-il permis de souligner le caractère contradictoire de ces deux objectifs ? Car la « cohésion sociale » s’accommode mal de la vérité. La visée scientifique est en elle-même discriminante puisqu’elle distingue le vrai du faux quand la cohésion sociale exige de ménager également « la fierté » de tous les membres du corps de la nation. S’il s’agit de rendre leur fierté aux peuples ayant constitué l’identité française, sera-t-il possible de le faire au nom d’un esprit scientifique qui ne saurait préjuger des résultats qu’il va atteindre ? Emile Durkheim le grand sociologue français du début du XXe siècle précisait déjà le conflit susceptible de se développer entre un souci de vérité scientifique et le souci de cohésion sociale dévolu selon lui à ce qu’il appelle en un sens très particulier la religion. Pour Durkheim, la religion n‘est pas essentiellement constitué par des croyances en un Dieu transcendant ou en un au-delà métaphysique. La religion est fondamentalement un « fait social» dont le rôle est à la fois spéculatif et proprement social. Sachant en outre que pour Durkheim on ne saurait distinguer entre la société et la religion puisque « le Dieu n’est que l’expression figurée de la société » on admettra alors que la religion est loin d’avoir disparu avec le recul du catholicisme dans notre pays. Elle s’est seulement transformée, et continue de le faire. Au culte national qui exaltait la « mission civilisatrice de la France » succède aujourd’hui le culte que les Français (d’origine étrangère pour ce que concerne la cité de l’Immigration) sont censés se rendre à eux-mêmes.

C’est d’ailleurs explicitement le sens du projet défini par les historiens porteurs du projet pour justifier l’installation du musée dans le Palais de la Porte Dorée : « il s’agit de renverser les significations du bâtiment : lieu de mémoire d’une forme de glorification de la mission civilisatrice de la France dans les colonies, il deviendra l’institution culturelle qui portera à la conscience de tous les Français l’ apport décisif des immigrés européens et coloniaux, à la construction du pays et de l’identité nationale. » Il s’agit ici d’une visée proprement religieuse. Tout comme les chrétiens ont installés leurs lieux de culte sur les vestiges des temples païens pour récupérer à leur profit la sacralité attachée à ces lieux, les concepteurs de la Cité de l’Immigration cherche à détourner au profit du culte de la diversité et de l’égalité de toutes les cultures qu’il cherchent à instituer la sacralité qui s’attache encore à un lieu tel que le Palais de la Porte Dorée. Leur volonté de « renverser » les significations suscitent des échos troublant chez ceux qui se souviennent du renversement des idoles par les chrétiens au moment du triomphe du christianisme. On aurait tort, je pense, de voir dans les images religieuses qui se développent presque spontanément ici de simples figures de rhétorique. Il faut prendre ces images au sérieux. C’est en ce sens, je pense, qu’il faut entendre le nom couramment donné à ce nouveau musée national. Cette « Cité de l’Immigration », en un sens proprement littéral et métonymique, c’est, du point de vue de ceux qui portent le projet, la France, rien que la France, toute la France.