"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

25/03/2011

L'homme a-t-il besoin du Christ?

Le 25 mars est le jour de l'Annonciation. C'est le jour où les chrétiens se souviennent de ce moment incroyable, insensé et scandaleux, où Dieu décide de s'abaisser jusqu'à l'Incarnation, donnant ainsi à sa propre création une nouvelle et singulière dimension.

Le 25 mars, c'est aussi la date de la naissance de Flannery O'Connor, écrivain catholique du sud des Etats-Unis, d'une lucidité féroce, morte prématurément en 1964. Son prénom complet est Mary Flannery en raison sans doute de sa date de naissance. Il y a exactement 50 ans, en mars 1961, paraissait une nouvelle de Flannery O'Connor dans une obscure revue catholique aujourd'hui disparue, The Critic, intitulée The Partridge Festival. Cette nouvelle a un statut un peu particulier dans l'oeuvre de l'écrivain. Elle fut abondament travaillée, reprise une douzaine de fois par Flannery O'Connor. Elle devait même servir, avec d'autres nouvelles, à la trame d'un nouveau roman qui ne put voir le jour en raison de la mort de l'auteur. Pourtant, cette nouvelle fut exclue par Flannery O'Connor de son ultime et magistral recueil, Everything That Rises Must Converge.

Je ne crois pas que cette exclusion soit à comprendre comme un reniement. Je crois au contraire que cette nouvelle avait une dimension personnelle pour Flannery O'Connor presque trop importante, trop douloureuse serais-je tenté de dire, pour être exposée dans un recueil qui lui aurait donné une visibilité trop grande. J'essaie d'expliquer cela dans une contribution à l'ouvrage dirigé par Jacques de Guillebon, intitulé L'homme a-t-il besoin du Christ?, qui paraît dans les prochains jours aux editions Via Romana.

Cela paraîtra peut-être supersitieux, mais je veux voir plus qu'un hasard dans le fait que cette nouvelle de Flannery O'Connor est parue la même année que Mensonge Romantique et vérité romanesque de René Girard, oeuvre magistrale et majeure dont nous fêtons cette année les cinquante ans. Un des thèmes de la nouvelle de Flannery O'Connor est la découverte gênante pour eux par deux apprentis écrivains (Mary Elizabeth et Calhoun) de la similude de leur approche "romantique" de la communauté dans laquelle ils vivent. Contre la communauté qui est la leur, ils se sentent chacun de leur côté en empathie avec le "bouc émissaire" de la ville. Lorsqu'ils découvrent leur empathie commune pour ce "bouc émissaire", une sourde hostilité naît entre eux.

Je veux croire, cinquante ans plus tard, que si René Girard et Flannery O'Connor avaient découvert ensemble la proximité de leur oeuvre publiée au même moment, c'est le rire, le rire libérateur et joyeux qui nous secoue quand la douce et féroce ironie divine se manifeste parmi nous, qui les aurait réunis.

17/03/2011

Carêment pas

Le bus est presque vide en cette matinée ensoleillée du mois de mars. Baigné par la lumière, plongé dans un livre, profitant ainsi sans vergogne, en compagnie de Charles Péguy, du quart d’heure de trajet ronronnant qui m’est octroyé par le ciel dans la douceur parisienne avant un rendez-vous professionnel, je ne la vois pas venir. Et pourtant ! Elle balance son énorme sac  Prada pour le coller près de la fenêtre avant de s’assoir, ou plutôt de s’effondrer, face à moi, dans le sens inverse de la marche. Je lève un œil sur elle pour constater sans surprise que son visage est celui, oxymorique,  d’une génisse  agressive, ruminant sans complexe une viennoiserie odorante qui a elle seule nous rappellerait, si l’on pouvait oublier sa propriétaire,  à quel point la civilisation et les sens ont parti lié.
 Car voilà que cette bouche grande ouverte sur les ravages qu’elle fait subir à ce sommet de la culture de notre pays qu’est le croissant au beurre, me remet subitement en mémoire l’argumentation mi-sérieuse mi-ironique d’un ami japonais depuis longtemps oublié, qui expliquait à l’étudiant occidental goguenard que j’étais alors que la civilisation nippone était, de loin, supérieure à toutes les autres, et notamment à la mienne, car elle n’admettait pas que l’on mange devant tout le monde dans l’espace public sans au moins tenter, en mettant la main devant sa bouche, de se protéger du regard envieux ou dégoûté d’autrui. Je balayais alors cette prétention en lui montrant du doigt le spectacle somme toute sympathique de jeunes japonaises, toutes occupées les unes des autres, rieuses comme des mouettes,  avalant goulument de vastes quantités de crèmes glacées qu’elles s’étaient procurées chez un glacier américain installé depuis peu et avec succès à Osaka et vendant uniquement « à emporter ». Elles nous ignoraient royalement ces jeunes filles, notre présence ne semblant troubler en rien leur joie gourmande.
Pourtant, au-delà de l’outrecuidance simulée de mon ami, il y avait sans doute quelque chose de juste, même si cela m’échappait alors, dans cette insistance sur l’importance de l’attention que nous devrions porter à l’effet que nous faisons sur autrui lorsque nous mangeons en public. C’est ce qui m’apparaît clairement en contemplant la mastication impudique de la vaste demoiselle qui s’est étalée sur le siège devant moi. Protégée d’autrui par un casque lourd vissée sur les oreilles, elle triture d’une main une mèche blonde qui tombe lourdement devant ses yeux, tandis que de l’autre elle tient fermement, comme si quelqu’un allait lui en contester la propriété, un reliquat de croissant. Troublé dans ma lecture, hésitant entre le haut-le-cœur et la salivation,  voilà que je ne me contrôle plus et, tout en espérant vaguement faire comprendre à ma future interlocutrice que je plaisante à moitié, lâche :
-          Vous savez qu’on est en plein carême.
-          Hein ???
-          Oui, c’est le carême, on est sensé se limiter sur la nourriture.
-          Mais qu’est-ce qui me raconte ce daron, vocifère la bouche de l’ogresse, maculant d’un coup mon manteau d’une flopée de grosses miettes gluantes, j’suis pas muslim moi ducon pour qui tu m’as pris ?
-          Non, mais…moi non plus, je ne vous parle pas de ça.
-          Quoi que tu dis connard ? sale islamofasciste qui veux empêcher les femmes d’être libres de leur corps , moi le ramadan c’est personne qui me le f’ra faire enculé de ta race, zarma, ici on est en France, pas question qu’on adopte tes coutumes de naze. Le ramadan, il n’en n’est carêment pas question, compris ? Alors ta gueule, tu la fermes et moi si j’veux l’ouvrir pour grailler ce que j’ai envie de grailler c’est pas un lèche-métèque qui va m’en empêcher.  Le ramadan, c’est carêment ringard, ducon. 
     
Carêment ringard. J’ai compris.

Trébuchant et honteux, je descends à la hâte du bus, me précipite dans le premier Mc Do venu, puis, me remettant lentement de mes émotions, j’entends maintenant mon ventre gargouiller et commande à une jeune et souriante Samira un double café et deux donuts. 

A emporter.

07/03/2011

Présentation de mon blog à Notre Dame du Net


Etoile de la mer voici la lourde prose
Et la virtuelle foule et l’océan des signes
Et l’inconstante plume et nos lecteurs indignes,
Voici votre regard sur cette vaine chose
Et voici votre voix sur cette lourde plaine
Et nos amis absents et nos vies comparées
Voici que devant vous nos doigts désemparés
Sur Google s’autosearch et déversent la haine.
Etoile du matin, inaccessible reine,
Voici que nous sombrons sous votre illustre cour,
Et voici le radeau de notre pauvre amour,
Et voici l’océan de notre immense peine.
Un sanglot rôde et court par toute connexion.
A peine quelques « j’aime » font comme un archipel.
Du fil rss retombe une sorte d’appel.
Le roman homérique  devient autofiction.

Ainsi nous pataugeons vers votre cathédrale,
Croyant être malins nous sommes des jeunes cons
Qui crânons et fuyons la vraie confession,
 Apôtres consternants d’un vide sidéral.
Dix ans de ces blogueurs ont fait de l’Internet
Un déversoir sans fin pour les âges nouveaux.
Déni de votre grâce a fait de ce réseau
Un cauchemar sans fin pour l’homme qui s’entête.
Quand nous aurons posté nos ultimes messages,
Quand nous aurons éteint l’écran et le PC,
Quand nous aurons jeté l’Ipod et le clavier,
Veuillez vous détourner de nos longs bavardages.
Quand nous retournerons en cette froide terre,
Ainsi qu’il fut prescrit par le premier Adam,
Veuillez nous racheter nous les geeks paradant,
Et pardonner très vite tous nos vains commentaires.
Quand on nous aura mis dans une étroite fosse,
Quand on aura sur nous dit l’absoute et la messe,
Veuillez vite oublier, reine de la promesse,
Nos longs cheminements depuis le MS-DOS.
Quand nous aurons quitté ces bits et ces record,
Quand nous aurons blogué nos derniers bloguements,
Quand nous aurons posté nos derniers postements,
Veuillez vous rappeler votre miséricorde.
Nous ne demandons rien, refuge du blogueur,
Que la dernière place en votre Purgatoire,
Pour rire longuement de notre post-Histoire,
Et contempler de loin votre jeune splendeur.